Mauges

Comment des Australiens
descendent d'un jeune français,
au XIXème siècle ?

 

A - Louis Rupert Harcla, l'énigme.

Notre cousine australienne, Corail, très attachée à retrouver les racines de sa fille, née de son second mariage, mène depuis 1992, en Australie, un travail de bénédictin pour clarifier les origines d'un Louis Rupert Harcla, l'arrière-arrière-grand-père de sa fille. (Voir ici la genèse de nos contacts).

Corail avait trouvé de nombreux certificats :
le décès de Louis, la naissance de ses enfants, son mariage :

à Fassifern, Queensland, le 12 décembre 1887,
Louis Harcla, bourrelier, dit de Paris
épouse
Emily Fischer, née de parents d'origine allemande.

Il est dit, né de Victor Pierre Harcla et Louise Coudriau

Parmi les photographies transmises de générations en générations, elle trouve :
- celle de Louise Coudriau, veuve Ouvrard, une vieille femme " in memoriam ", sa mère, décédée le 27 février 1899, à 83 ans, à Paris,
- une carte envoyée par Gustave Ouvrard, de Brussels, à son frère Louis Harcla.

Ainsi Louis Harcla est le frère de Gustave Ouvrard et fils de Louise Coudriau et Victor Pierre Ouvrard (et pas Harcla).

 

Louis Harcla " Ouvard " aurait donc changé de nom et, par là même, modifié le nom de son père lors de son mariage ; est-ce si facile, en Australie ?

Apparamment oui, Corail m'a assuré que, au XVIIIème siècle, n'importe qui pouvait changer son nom en en choisissant un autre.

Plus tard, au XIXème siècle vous pouviez le changer en payant une taxe au gouvernement et en apportant un acte de naissance. Cela s'appelle “changer de nom par Deed Poll (enregistrement d'acte)". Le fils de Louis Harcla, nommé Algernon Rupert Harcla changea le sien en Benjamin Andrews ; ça explique que le mari de Corail, petit-fils d'Algernon, se nomme Keith Andrews.

Les registres d'état civil sont apparus en 1856, avant, il n'y avait que les registres d'église, pour ceux qui la fréquentaient.

 

Les parents de Louis étaient donc connus et rapidement je pus remonter sa généalogie française. Mais l'énigme de son arrivée en Australie subsistait...
l'Australie, à cette époque, était peuplée de migrants : exilés, marins, réfractaires à l'armée, condamnés, ou simplement aventuriers...

Le 27 novembre 2011, Je reçus de Corail, un article du journal local " Maitland Mercury and Hunter River " ( NSW), du 27 février 1879,
relatant l'arrivée à Bowen, le 30 janvier 1879,(voir ici l'original), de six évadés de la colonie pénitentiaire de Nouvelle Calédonie, et parmi eux, un Louis Ouvrard

Ils s'évadèrent le 12 janvier 1879, à 2 heures du matin, après "seulement" quelques mois de captivité.
Il leur a donc fallu 19 jours de mer, dérivant et barrant sur 2 000 km, pour gagner leur liberté.

"Après 10 jours, ils ont aperçu un navire et, se pensant pourchassés, ils ont modifié leur course, et quelques jours après ont passé en toute sécurité la barrière de récifs dans leur bateau de pêche, qui a accosté à Bowen le 30 de ce mois. Ils ont été dix-neuf jours en mer, et ont été sans nourriture pendant les deux derniers jours."




Maintenant nous savons que Louis venait du pénitencier, mais pourquoi avait-il été condamné ? L'investigation continue...



B - Louis Ouvrard, le Maugeois.

Louis,est né le 5 avril 1856, rue du Puy-Gourdon
à Cholet, (France) dans les Mauges

de Victor Pierre Ouvrard
et Françoise Louise Coudriau.

Il était le 11ème et avant-dernier enfant d'un maçon et d'une dévideuse.

 

La jeunesse de Louis fut assez agitée.

Il commit, d'abord, quelques "petits" vols qui lui valurent des peines plus ou moins lourdes :
1 - à Angers, le 2 octobre 1873, - Il avait 17 ans - pour vol, il eut 3 mois de prison
2 - puis, toujours à Angers, le 3 juillet 1874, pour vol, 3 nouveaux mois de prison

Sans doute trop connu dans la région,
3 - il partit pour Lyon, où, le 12 juillet 1875, il eut 8 jours de prison pour agression.
4 - le 29 février 1876, , à Paris, pour complicité de vol, il eut 6 mois de prison,
5 - et enfin à Marseille, le 31 mars 1877, il eut 3 mois de prison pour mendicité et simulation d'infirmité.


Alors commencèrent les choses sérieuses.

Le 13 février 1878, Louis Ouvard est envoyé devant la Cour d'Assise de Draguignan (Var), pour avoir, "en complicité de Mr Chaillaud, et de la fille Berthe Capmann :"

1 - à Nice, le 3 novembre 1877, "frauduleusement soustrait une montre en argent, un porte-feuille contenant approximativement 20 francs, au dépend d'un nommé Janoti, la nuit, par deux ou plusieurs personnes, avec l'aide d'armes visibles ou dissimulées",

2 - à Cuers, le 12 du même mois, "frauduleusement soustrait une montre en argent avec sa chaîne, une pochette contenant approximativement 150 francs, au détriment d'un nommé Serpolet, la nuit, dans un chemin public, par deux ou plusieurs personnes, avec l'aide d'armes visibles ou dissimulées, avec violence."

Cette fois, c'est le vol avec violence qui l'a conduit aux Assises.

 

Le jury déclara Ouvrard coupable à toutes les questions, sauf celle concernant le chemin public, rejetée, et refuse les circonstances atténuantes.

Par ces motifs le condamne à 8 ans de travaux forcés plus 8 ans de "résidence" en Nlle Calédonie.

le 30 mai 1854, un décret, légiférant sur les travaux forcés, fut signé par Napoléon III. Il précisait l’exécution de la peine des travaux forcés et instaurait le principe de la double peine :
Tout individu condamné dont la peine sera inférieure à huit années de travaux forcés sera tenu, à l’expiration de sa peine, de résider dans la colonie pendant un temps égal à la durée de sa condamnation. Si la peine est de huit années, il sera tenu d'y résider toute sa vie.”

Louis Ouvrard n'avait donc aucune chance de retourner dans les Mauges.

A l'audience, il fut décrit ainsi :
1,70 m - blond - front haut - yeux bleus - nez court - bouche moyenne - menton rond - sans barbe - visage ovale - peau colorée
Il est dit :
Artiste dramatique, catholique, sans domicile, sans ressources.
Il sait bien lire et écrire.

Alors commença sa seconde vie. Nous en savons plus grâce à son dossier judiciaire ; voir son Dossier judiciaire, Ecrou 4486

Le 20 mars 1878, il est emprisonné à la citadelle de St Martin de Ré qui est utilisée comme dépot de condamnés vers la Nlle Calédonie ou la Guyanne.

Comment y parvint-il, peut-être à pied, même si la "chaine" - un groupe plus ou moins important de prisonniers enchaînés entre eux et escortés par des gendarmes ou des policiers - avait été supprimée depuis 1836, ou en fourgon tiré par des chevaux ; le voyage, d'environ 900 km, ne devait pas être une partie de plaisir.

Le 6 mai 1878, il fut mis au cachot pour "arrogance envers un gardien".

Le mardi 16 juillet 1878, il embarque à l'aube depuis l'Ile de Ré, à bord de la Comète avec 356 autres forçats vers " La Loire ", en rade de l'Ile d'Aix.
La Loire partira le 17 juillet 1878, vers l'Ile Nou (Nouméa ), après avoir fait escale le 26 juillet à Ténérife.

C'est le 20ème voyage de ce navire vers la Nlle Calédonie. (voir le voyage) 

Lors de ces traversées, les détenus étaient enfermés dans des cages, dont cette gravure montre un exemple de 1873.

De 1864 à 1924 les autorités pénitentiaires ont maintenu la "colonie" sur l'île Nou (Nouméa), en Nlle Calédonie, où furent déportés de nombreux prisonniers français de métropole (approximativement 21 000).

"La Loire" arriva à l'île Nou, le 25 octobre 1878 , après un voyage de 102 jours.

La vie dans la "colonie pénale" de Nou était très dure et de nombreux condamnés étaient blessés, malades et/ou mouraient en quelques mois.

C'est ainsi, sans doute, que Louis fut conduit au service de santé de la colonie, à Oubatche, tout au Nord de l'île.

Etait-il vraiment malade ou pensa-t-il que la surveillance serait plus "souple" qu'à la colonie ?

Quoiqu'il en soit, le 12 janvier 1879, il est noté "Evadé d'Oubatché".

Il sait que le salut ne peut venir que de la mer, car sur l'île, les habitants, souvent d'anciens bagnards, se muaient en chasseurs de primes en poursuivant ou dénonçant les fugitifs.

Le Queensland a reçu le plus grand nombre d'évadés.
Une part se glissait à bord de vapeurs entre la Nlle Calédonie et La Nlle-Galles du Sud. La Nlle Calédonie est à 730 miles de la côte du Queensland et des hommes désespérés, prêts à courir n'importe quels risques pour échapper aux horreurs de l'île Nou et la brutalité des kanaques enrolés par les autorités pénitentiaires.
S'ils pouvaient échapper aux rigueurs d'un long voyage dans un bateau ouvert, ils étaient certains d'atteindre un point des 3 000 miles de la côte orientale de l'Australie, pourvu qu'ils se dirigent dans la bonne direction.

Il s'échappera donc par la mer ...

Les documents officiels ne peuvent rien nous dire de plus, mais nous connaissons le reste de sa vie depuis son nouveau pays...


 

C - Louis Rupert Harcla, l'Australien.

Il est bien accueilli par les Australiens et doit se tenir tranquille comme l'a dit Mr Amédée de SOT :

"...si ceux qui sont ici ne se conduisent pas correctement, des mesures seront prises pour les renvoyer en Nlle Calédonie, à la première entorse
aux lois de la société coloniale."

Va-t-il se conduire comme un bon citoyen australien ? Pas vraiment...

Le 6 juin 1880 , dans un article du  "Queenslander" de Brisbane, nous apprenons le cambriolage qui a conduit Louis à la condamnation ci-dessous :

" Date 05 Juin 1880
Les Assises se sont ouvertes devant son son Honneur le  "Chief Justice".
La première affaire était contre Ishmael Sobieski, alias
Louis Reuben Ouberard, et Henri Granger, poursuivis pour
effraction d'un bureau comptable de la "Prévoyance Mutuelle Australienne" , avec l'intention de commettre un délit.
Sobieski plaida coupable et fut déféré, Granger plaida non coupable.
Il fallut se rendre à l'évidence devant les preuves que Granger a été surpris à commettre l'acte poursuivi, avec l'homme qui plaidait coupable, les policiers étant précédemment dissimulés sur place.. Granger fut déclaré coupable, et un peu plus tard
lui et Sobieski furent condamnés à
7 ans de travaux forcés. "

Il fut envoyé à la prison de St Helène. St Helène est une île dans la baie de Moreton , à peine à deux kilomètres du continent près de Brisbane. C'était un très joli environnement pour une prison, et les condamnés y cultivaient de la canne à sucre

On trouve dans son dossier d'incarcération :
Numéro matricule 1791
Ishmael Sobieski (L Reuben Ouverard)

Sentence 7 ans
Entrée à St Helène 29 Juin 1880
Sortie le   5 Janvier 1886

Il n'y perdit pas son temps car il semble que Louis doit y avoir appris son métier de bourrelier, dans des ateliers pénitentiaires .

In 1887, quand il fut libéré, il ouvrit son échope de bourrelier comme un respectable homme d'affaire.

Nous retrouvons sa trace dans un petit article du journal Brisbane Courier Mail Tuesday
9 Aout 1887

"Plusieurs accidents sont arrivés à Ipswich et sa banlieue ces deux ou trois derniers jours. Un certain Harcla, bourrelier de Marburg, alors qu'il galopait le long d'une route à proximité de la banlieue, hier après-midi, en compagnie de quelques cavaliers, fut jeté de sa selle et eut le bras et la cuisse considérablement blessés.”

Le 1er décembre 1887, il épousa Emily Fischer, et ils eurent 5 enfants, de 1889 à 1897.

le 5 mars 1888 , dans un article du  The Brisbane Courier (Qld), nous lisons :
"Entre 9 et 10 heures, la nuit dernière, le magasin de sellerie de M. Harcla à Marburg a été incendié par l'éclatement d'une lampe à kérosène. M. Harcla était absent à l'École d'Arts à ce moment, mais heureusement plusieurs personnes étaient à portée de main. Les flammes ont bientôt atteint la boiserie et la sellerie, mais des seaux et une eau abondante était disponibles et les ouvriers ont réussi à dominer le feu, pas cependant avant que des dégâts considérables n'aient été occasionnés. Le stock sauvé était, j'entends, abimé tant par le feu que par l'eau et M. Harcla estime sa perte à £ 100 environ. La devanture de magasin, une remise et le toit ont aussi été endommagés.

A la fin de 1896, ils déménagèrent à Roma, 540 kms à l'ouest de Brisbane, sur un terrain récemment acheté par sa femme Emily.
Là, naîtra leur cinquième enfant.

Le 27 février 1899, sa mère Louise Coudriau mourut à Paris, à l'hôpital aujourd'hui nommé "Necker". Pourquoi était-elle à Paris ? encore une énigme...

Le 4 Aout 1899, il est à Pretoria (Afrique du Sud). Revenait-il des obsèques de sa mère ? Rien ne le dit...

Le 8 janvier 1900, il était près de Sydney, comme le dit un article du "NSW Newspaper Hawkesbury Advocate" :
Mr. L. R. Harcla, fabricant de selles, harnais et colliers, précédemment de Prétoria, Afrique du Sud, qui a fait énormément de travail parmi nous et qui a donné entière satisfaction dans toute la région, va, nous le déplorons, nous quitter pour le Queensland, où il a travaillé pendant les 23 ans précédant son départ pour l'Afrique du Sud....

Nous savons, en fait, qu'il n'en est rien, mais il semble avoir toujours cherché à cacher son passé

En 1902, il prit une photo à Goombungee (Queensland) de sa fille ainée, Angelina.

Cette photo a été prise à Sydney à l'âge de 50 ans environ. 

Le 10 septembre 1904, on le trouve sur la liste de débarquement du navire "Aberdeen" quittant Sydney pour London via l'Afrique du Sud.
10 Septembre.- ABERDEEN. s.3684 tons, Capitaine Douglas pour London, via les ports du Sud et l'Afrique du Sud.
Passagers : Mr. A.M.Midson, Mr. M.Kane, Mr. L.R.Harcla, Mr. F.C.A.Mann, Mr. L.Henderson, Miss G.Cooper, Mrs. W.A.Jamen

Le 10 février 1906, Emily, sa femme, se remarie. Comme elle le pressentait, Louis n'est jamais revenu. Elle ne sait pas ce qu'il est devenu. Elle a deux nouveaux enfants Johann, en 1908, et Hedwig, en 1911, de son second mari Johann August Meier.

Le 8 février 1912, Louis était enregistré comme cuisinier à bord du "RIMUTAKA" quittant Londres pour Brisbane où il est arrivé le 26 mars 1912 ; mais , plus surprenant encore, son fils Rupert, 19 ans, était marin sur le même navire.

Le 1er juin 1917, Louis fait son testament, à Proston (Qld).

Le 24 novembre 1918, on apprend par une lettre à l'Armée, où il cheche des nouvelles de son fils, Eugène Constant - mobilisé au Front - qu'il est à Kogarah Sydney Hospital pour une attaque de paralysie.

En 1920, il est au Hertford British Hospital de Paris

Le 7 mai 1920, il entre à Fulham Road Infirmary of London,   

Il meurt le 11 février 1922 à Londres, des suites d'athérosclérose.

Voici :

son fils, Algernon

son petit fils, Leroy

son arrière petit fils, Keith

Accès à son ascendance :

- longue liste (avec collatéraux)

- liste courte (ascendants seuls)

 


Merci

à Bernard Guignard, pour m'avoir donné les bons canaux de recherches
voir son site :
http://deportesdelacommune.blogspot.com/

à William Jobbin, de l'Entraide FGW-ANOM, pour ses recherches aux Archives Outremer d'Aix
association FranceGeneweb Outremer : http://www.francegenweb.org/~sitesdgw/outremer/

à Jean Claude Carrega, de CGW49, pour sa contribution, essentielle !
FranceGeneweb 49 ( Maine-et-Loire ) association :
http://www.francegenweb.org/~sitescgw/c2/index.php?dept=49

à Anne-Marie Edeline, du Fil d’Ariane Nlle Calédonie, qui sait où sont des informations dont nous ignorons même l'existence. Phénoménale !
Fil d’Ariane :
http://www.entraide-genealogique.net/
aux Archives Nationales d'Outremer , pour leurs conseils et leur aide.
aux  Archives des Tablettes des Deux Charentes 
à l'archivage en ligne de TROVE  Archives TROVE (en anglais)
enfin et surtout à Marie-Claude Bernard sans qui je n'aurais jamais connu Corail et sa famille.
Mauges