Fou-tchéou et la rivière Min
La bataille
de Fuzhou, ou bataille de Foochow,
également connu sous le nom de combat naval de Fou-Tchéou ou encore bataille
navale de la Pagode (en chinois : 馬江海戰,
馬江之役 ou 馬尾海戰 ,
littéralement bataille de Mawei), est une bataille navale de la guerre franco-chinoise. Elle a eu lieu du 23 août 1884 au 30 août 1884 au large
du mouillage de la Pagode dans le port de Mawei
(馬尾), à 15 kilomètres au sud-est
de la ville de Fuzhou
(Foochow). Au cours de cette bataille, l'escadre d'Extrême-Orient
commandée par l'amiral Courbet réduisit pratiquement à néant la
flotte du Fujian,
l'une des quatre flottes régionales chinoises.
Le 22 aoüt, vers cinq heures du soir, arriva par télégramme l'autorisation d'ouvrir
le feu.
Se trouvaient au mouillage de Pagoda:
"Volta", portant mon pavillon; "Dugay-Trouin",
"Villars", "D'Estaing", "Lynx", "Vipère»,
«Aspic", plus les torpilleurs 45 et 46.
Les Chinois y avaient rassemblé 11 bâtiments de guerre, savoir :
Le croiseur "Yang-ou"; 5 transport-avisos, "Tchen-Hang",
"Yong-Pao", "Fou-Po",
"Fey-Yûne, "Tsin-Gan";
1 aviso de flottilles, "I-Sing"; 1 canonnière-aviso, "Tchen-oueï";
3 canonnières, "Fou-Sing", "Fou-Sheng", "Kien-Sheng".
Plus, 12 grandes jonques de guerre.
Ils avaient, en outre, armé 7 canots-torpilles à
vapeur, 3 ou 4 à l'aviron, et disposé un certain nombre de brûlots.
Le "Château-Renaud" et la
"Saône", détachés au mouillage de Quantao,
en amont de la passe Kimpaï, avaient pour mission de
s'opposer à ce que les Chinois obstruassent cette passe, soit en coulant une
trentaine de jonques chargées de pierres, réunies aux environs, soit en
mouillant des torpilles.
M. de Bezaure, le vice-consul de France à Fou-tchéou, que
j'avais prié de se rendre compte en temps opportun à bord du "Volta",
remonta à Fou-tchéou
pour amener son pavillon et prévenir le vice-roi.
Dès le matin, les bâtiments des deux nations étaient sous les feux, prêts à
filer les chaines et à marcher.
Pendant toute la durée du flot, de neuf heures et demie à une heure et demie,
les Chinois firent ostensiblement leurs préparatifs d'appareillage et de
combat; plusieurs même de leurs canots-torpilles
vinrent faire autour du "Volta" des feintes d'attaque, se retirant
dès qu'ils apercevaient un canon ou un hotchkiss
braqué sur eux.
Vers 1h45, je signalai, de lever l'ancre et de se tenir prêt
à attaquer conformément au plan.
Voici en quoi il consistait:
Dès le début, les torpilleurs 45 et 46 s'élanceraient respectivement sur le
"Fou-Po" et le "Yang-ou"
soutenus par l'artillerie et la mousqueterie bâbord du "Volta"; ce
croiseur ouvrirait aussi le feu par tribord sur les jonques de guerre dont il
était le principal point de mire.
En même temps, les trois canonnières, "Aspic", "Vipère",
"Lynx", laissant sur tribord le "Volta", les torpilleurs,
le "Fou-Po" et le "Yang-ou"
se porteraient rapidement à la hauteur de l'arsenal, et livreraient combat aux
trois canonnières et aux trois transports-avisos qui
s'y trouvaient.
Quatre canots à vapeur armés en guerre, sous les ordres de M. le lieutenant de
vaisseau de Lapeyrère, devaient protéger le
"Volta", le "Lynx" et l'"Aspic" contre les canots-torpilleurs Chinois.
"Dugay-Trouin", "Villars",
"D'Estaing" devaient réduire les trois bâtiments mouillés auprès
d'eux avec leur artillerie d'un bord, battre les jonques de guerre en enfilade
de l'autre bord, plus une batterie de trois Krupps
voisine de la Pagode et les trois batteries, de Krupps
également, qui dominaient l'arsenal.
Leurs canots à vapeur armés en guerre pareraient aux attaques des canots-torpilleurs ennemis.
Aussitôt après que les trois bâtiments seraient hors de combat, le
"D'Estaing" devait se placer à l'ouvert de l'arroyo de la Douane,
afin d'y couler un certain nombre de jonques qu'on disait armées pour
l'abordage. Ce plan fut exécuté avec un ensemble parfait.
Tous les bâtiments ouvrirent le feu pendant que les torpilleurs attaquaient;
les Chinois répondirent immédiatement.
Il faisait presque calme; pendant quelques minutes un nuage de fumée enveloppa
les combattants, une grêle de projectiles siffla autour d'eux.
A la première éclaircie nous aperçûmes le "Yang-ou"
qui se jetait à la côte après avoir été crevé par le torpilleur "46",
capitaine Douzans, plusieurs jonques de guerre en
partie coulées; le "Fou-Po" atteint par le
torpilleur "45", capitaine Latour, mais
d'une façon moins désastreuse, continuait de résister; les bâtiments en amont
semblaient avoir déjà de graves avaries.
Le "Fey-Yune", le "Tsi-Ngan"
et le "Tchen-oueï", désemparés et incendiés
par les obus de "Duguay-Trouin", du "Villars" et du
"D'Estaing", étaient emportés par le courant, s'échouaient et coulaient
à quelques milles en aval.
Ce fut un peu plus tard le sort des canonnières.
Après le premier choc, le feu se ralentit sensiblement, nos coups, très bien
dirigés, achevaient la destruction de toute la flottille chinoise.
Le "Yong-Pao" et le "I.-Sing", grâce à leur faible tirant d'eau, gagnèrent
le haut de la rivière, où nos canonnières ne purent les poursuivre; mais leurs
avaries étaient déjà telles que tous deux durent s'échouer d'abord, puis ont
coulé.
Il ne reste donc que des débris de la flottille chinoise.
Les efforts de nos canonnières se concentrèrent ensuite sur le matériel
flottant qui se trouvait devant l'arsenal et sur l'arsenal lui-même, pendant
que les autres bâtiments éteignaient le feu des batteries de l'arsenal et de la
pagode de l'ile Losing.
La "Triomphante", arrivée un peu avant deux heures et mouillée en
aval de la pagode, ouvrit le feu sur les objectifs qui étaient à portée de ses
canons, et notamment sur ces batteries.
C'est de la première que partit un obus dont les éclats tuèrent deux hommes du
"Volta" et blessèrent mon aide de camp M. Ravel ainsi que trois
matelots.
Les canots-torpilles chinois, qui paradaient les
jours précédents et qui le matin même essayaient de nous menacer, disparurent
un peu avant l'action, cherchant un refuge, les uns dans le haut de la rivière,
les autres dans l'arroyo de la Douane.
M. de Lapeyrère essaya vainement d'atteindre les
premiers, puis il dirigea les efforts de ses canots contre le "Fou-Po", qui aurait peut-être réussi à s'échapper dans
le haut de la rivière, le prit à l'abordage et alla l'échouer en aval du
mouillage, où il finit par couler.
Vers la fin de la journée, nos canots armés en guerre allèrent relancer les canots-torpilles réfugiés dans l'arroyo de la Douane et les
mirent hors de service; en même temps ils commencèrent la destruction des
jonques et sampans qui paraissaient y avoir été préparés comme brûlots. En
prévision des surprises que les Chinois ménageaient la nuit suivante avec ceux
de ces brûlots qui restaient encore à leur disposition, je fis prendre le soir
aux bâtiments un mouillage d'où ils devaient les apercevoir à distance et
pourraient s'en préserver en appareillant momentanément.
Ces précautions étaient commandées d'ailleurs par la certitude de voir remonter
au flot et redescendre au jusant les épaves en feu des bâtiments coulés.
On devait aussi s'attendre à ce que quelque canot-torpille
se remontrât; c'est ce qui arriva.
La nuit du 23 au 24 fut un qui-vive continuel.
La plupart des bâtiments durent appareiller trois et quatre fois.
Cependant le coup d'essai des Chinois n'avait pas été heureux.
Vers neuf heures du soir, à la fin du jusant, le "Tchen-Hong",
mis en feu par nos obus, était poussé vers notre mouillage par deux grandes
jonques que montaient une trentaine de matelots; quelques coups de canon du
"D'Estaing", mouillé en vedette, coulèrent les jonques et leurs
équipages, mais le transport continua de dériver au courant et menaça
successivement plusieurs bâtiments.
Le 24, mon premier soin fut de continuer la destruction des jonques ou épaves
en ignition, des brûlots préparés, soit dans l'arroyo de la Douane, soit en
amont de l'arsenal.
Deux séries de canots en guerre, commandées, l'une par M. Peyronnet, l'autre
par M. de Lapeyrère, en furent chargées.
J'appareillai avec le "Volta" et les trois canonnières pour appuyer
le mouvement de la seconde et en même temps pour poursuivre le bombardement de
l'arsenal.
Pendant l'après-midi, nos obus de 28 kilogrammes démolirent tout ce qui n'était
pas au-dessus de leurs forces; le tir, dirigé sur les ateliers et magasins et
sur un croiseur en cours d'achèvement, y a produit de grands dégâts, mais point
autant que je l'aurais désiré.
Avec du 14 centimètres on ne pouvait obtenir davantage.
La fonderie, l'ajustage, l'atelier de dessin ont des avaries considérables, la
coque du croiseur est criblée de trous, etc..., mais
pour détruire l'arsenal, il n'eût pas suffi d'y lancer un grand nombre d'obus
du même calibre, il eût fallu du 24 centimètres, tout au moins du 19
centimètres, c'est-à-dire amener à portée la "Triomphante" ou le
"Duguay-Trouin".
Les pilotes m'ont déclaré catégoriquement que cela était impossible, même
pendant une seule heure avant et une seule après la pleine mer.
Des sondes, faites par M. Renaud, dans ce but spécial, ont confirmé l'opinion
des pilotes.
Je me bornai à faire enlever, le 25 au matin, par les compagnies du
"Duguay-Trouin" et de la "Triomphante", la batterie de
trois Krupps de la pagode; ses défenseurs l'avaient
abandonné quand nos hommes y arrivèrent; mais nous vîmes bientôt descendre des
hauteurs grand nombre de soldats; le feu de nos embarcations en guerre et
quelques obus de 14 centimètres les maintinrent au delà de la langue de sable
qui relie à mi-marée l'île de Losing au continent.
A dix heures du matin, embarcations et compagnies rentraient à bord, rapportant
les trois canons. Il ne restait plus rien à faire à Pagoda,
rien du moins que nos moyens nous permissent de tenter.
Je quittai le "Volta" et mis mon pavillon sur le
"Duguay-Trouin".
Tous les bâtiments appareillèrent après le diner des
équipages pour entreprendre la destruction des forts de la rivière.
A une heure trente, mouillage en amont de l'ile Couding.
Le fil du télégraphe qui relie les forts entre eux et à l'arsenal est coupé
tout d'abord; il s'agit ensuite de démolir une batterie casematée armée d'un armstrong de 21 cent.5, qui enfile la passe Mingan.
Les canons du "Duguay-Trouin" et de la "Triomphante" sont
seuls capables de produire quelque effet; en moins d'une heure, la batterie,
prise à revers, est gravement endommagée. les canons de l'île Couding, qui auraient pu nous battre, se taisent; quelques
obus de 14 centimètres biens pointés, nous confirment qu'elle est abandonnée.
Les compagnies de débarquement du "Villars" et du
"D'Estaing" sont mises à terre sous les ordres du commandant Sango, afin de soutenir une escouade de torpilleurs chargés
de briser le canon armstrong avec du fulmi-coton.
De forts remous de courant et l'insuffisance de nos canots à vapeur augmentent
beaucoup les difficultés de transport de ce personnel.
Les Chinois ne songent pas à nous inquiéter.
Tout le monde est rentré à bord à la nuit tombante.
Le lendemain 26, attaque des autres batteries de la passe Mingan.
"Duguay-Trouin" et "Triomphante", principalement chargés
des cinq batteries casematées, envoyèrent, chemin faisant, quelques bordées
très efficaces sur les autres.
La batterie Mingan fait un semblant de résistance,
les obus du "Villars" et du "D'Estaing" achèvent de la
désemparer, après quoi une escadre de torpilleurs, soutenue par une compagnie
de débarquement, sous les ordres de M. le commandant Le Pontois,
va briser les pièces.
L'opération était à peine terminée qu'une fusillade nourrie part des hauteurs
voisines où s'élève la maison du Tao-Tai Fan Chargé
de la défense de la rivière.
Nos embarcations ripostent aussitôt; le "Villars" et le
"D'Estaing" les appuient avec quelques obus de 14 centimètres et
quelques coups de hotchkiss ; cela suffit pour
dissiper les tirailleurs ennemis.
En même temps, le "Volta" et les trois canonnières, mouillés près de
forts de l'île Couding, soutiennent une autre
escouade de torpilleurs et une autre compagnie de débarquement placées sous les
ordres de M. le lieutenant de vaisseau Fontaine pour brûler les logements et
briser les canons de ce fort.
Elles ne sont pas inquiétées que celles de la veille.De
leur côté, le "Duguay-Trouin" et la "Triomphante"
démolissent toutes les autres batteries, notamment une des batteries casematées
de la rive droite, blindée au moyen de quinze feuilles de tôle de deux
centimètres d'épaisseur solidement boulonnées ensembles.
Les défenseurs de ces batteries les ont abandonnées et se sont réfugiés dans
les montagnes environnantes, d'où nos fusils et nos hotchkiss
délogent ceux qui se montrent.
Avant la fin du jour nos torpilleurs ont brisés les six pièces de casemates de
la rive gauche et deux de celles de la rive droite.
La matinée du lendemain est consacrée à briser le reste.
Il faut plusieurs heures, mais nous ne saurions appareiller avant le flot,
c'est-à-dire avant une heure du soir.
Vers 2h30, tous les bâtiments ont ralliés le "Château-Renaud" et la "Saône" en amont de la
passe Kimpaï.
Ceux-ci ont fait bonne garde.
La surveillance, assez facile le jour, ne laissait pas de présenter la nuit de
faire évacuer le camp de Quantao, ensuite multiplier
les rondes d'embarcations, employer la lumière électrique presque constamment,
etc., mais on a réussi.
Les jonques de pierre sont alignées sur la rive droite; le radeau, disposé pour
compléter la fermeture de la passe, est échoué sur la rive gauche.
Le commandant Boulineau a tout préparé pour détruire
les jonques, soutenues par la "Vipère" et l'"Aspic", ses
embarcations se mettent à l'œuvre; une vive fusillade part du camp retranché de
Kimpaï, mais ne les force pas à suspendre
l'opération; à six heures du soir, toutes les jonques sont coulées ou
incendiées.
C'est là que M. le lieutenant de vaisseau Bouêt-Villaumez
a été tué et, auprès de lui, M; l'enseigne de vaisseau Charlier et quelques
hommes de la "Vipère" blessés.
En même temps les croiseurs canonnent les camps en vue, et le
"Duguay-Trouin" avec la "Triomphante" s'avancent en aval du
banc du milieu pour reconnaître les ouvrages de la passe et commencer
l'attaque.
A leur approche, deux batteries de 14 centimètres, récemment établies pour
enfiler la rivière, ouvrirent le feu.
En mois d'une demi-heure, ces batteries ne donnaient plus signe de vie,
cependant elles n'étaient point démontées; force fut de remettre cela au
lendemain, car il fallait remonter au delà du banc du milieu pour trouver un
mouillage convenable.
N'eût été la sécurité des navires, j'aurais dû m'y résoudre pour celle des
équipages; à l'ouvert de la passe, nous étions très près de la rive gauche,
dominés par ces collines boisées où, sans courir le moindre risque, des
tirailleurs nous auraient causé des pertes sérieuses.
Nous reconnûmes le lendemain, que ce n'était pas un excès de précaution. Le 28,
dès quatre heures du matin, le "Duguay-Trouin" et la
"Triomphante" appareillent; au petit jour ils ouvrent le feu sur les
deux batteries déjà attaquées la veille.
Celles-ci répondent d'abord avec une certaine vigueur, mais cela ne dure pas.
C'est par une fusillade que les Chinois veulent surtout nous combattre.
Il faut dire que la disposition naturelle du terrain et les travaux qui y sont
exécutés les favorisent à merveille dans cet endroit entonnoir.
Sur la rive droite, des murs en terre crénelés et des maisons à mi-côte leur
servent d'abri; sur la rive gauche, ce sont des broussailles, puis une digue
épaisse et enfin le village du Fort-Blanc.
Nos canons de 14 centimètres et nos hotchkiss les
délogent petit à petit; nous les voyons fuir vers le camp de Kimpaï, établi sur l'autre versant de la montagne; beaucoup
tombent en chemin.
Les obus des croiseurs restés en arrière inquiètent les autres jusque dans le
camp même, un obus heureux produit l'explosion du magasin à cartouches: cela
complète le désarroi.
Sur la rive gauche, le village leur offre d'abord un refuge, d'où l'incendie
les chasse bientôt.
Pendant ce temps là, les gros calibres font de larges brèches dans la batterie
casematée, blindée avec des plaques de 45 centimètres, ainsi que dans la
batterie casematée du Fort-Blanc, démontent tous les
canons en barbette voisins, et notamment un canon Krupps
de 21 centimètres qui bat toute la passe du côté du large.
J'essaye de compléter cette œuvre de destruction en brisant les pièces au
fulmi-coton.
On réussit pour une demi-douzaine de pièces de la rive droite, mais des
hauteurs de Kimpaï recommencent le feu des
tirailleurs, auquel nous répondons du bord sans parvenir à l'éteindre
complètement.
De plus les points de débarquements sont munis de torpilles électriques dont
nous apercevons les fils ; la "Triomphante" en fait éclater trois à
coups de hotchkiss.
Nos compagnies de débarquement auraient certainement éprouvé de ce côté, des
pertes très considérables.
Le résultat à obtenir ne compensant pas les sacrifices probables, je me résigne
à aller plus loin.
Il nous reste à démonter sur la rive gauche les deux batteries n°5 et n°6, plus
les canons du fort n°1.
La batterie n°5 parait abandonnée; après quelques coups de canon, j'envoie
briser ses pièces.
L'opération est troublée par quelques boulets tirés au hasard de la batterie
n°6 et qui ne sauraient porter; mais au même instant, une troupe nombreuse
descend du fort n°2 et nous fait éprouver quelques pertes.
Le commandant Sango, chef de l'expédition, est
blessé, 2 officiers et 8 hommes ne peuvent rallier et trouvent abri derrière la
muraille d'un vapeur échoué à proximité. Nos obus déblaient promptement la
place.
J'envoie l'"Aspic" et le "Lynx" mouiller dans l'est et à
petite distance de la batterie n°5, de façon à enfiler le vallon qui conduit au
fort n°2.
Sous cette protection, une embarcation armée en guerre dégage sans coup férir
et ramène à bord les retardataires de l'expédition.
En même temps on achève l'opération interrompue la veille, les trois canons
sont brisés.
La batterie n°6 et celle du fort n°1 étaient encore intactes; mais je ne m'en
préoccupais nullement, certain de les démonter sans difficulté.
Nous nous trouvions le 28 au soir devant un obstacle
autrement plus sérieux, s'il fallait en croire nos renseignements puisés aux
meilleures sources.
Depuis longtemps, une file de radeaux avait été disposée entre l'île de la
passe et l'île Salamis, de façon toutefois à laisser un passage suffisamment
large du côté de celle-ci.
Des pilotes affirmaient que ces radeaux soutenaient des torpilles électriques.
Nous les retrouvâmes dans la même position qu'il y a un mois; le passage libre
semblait toujours exister.
Cependant on y apercevait un certain nombre de bouées tout récemment posées; un
vapeur allemand, qui apportait des troupes le 25, avait été averti de ne point
s'y engager sans un pilote expédié du fort Kimpaï ;
enfin divers avis me faisaient craindre qu'il y eût là des torpilles.
Il était essentiel de dissiper toute incertitude avant de franchir cette ligne,
quelque temps que nous dussions y employer.
Du point où se trouvaient le "Duguay-Trouin" et la "Triomphante",
j'étais d'ailleurs en communication avec le télégraphe du Pic-aigu,
car les canonnières pouvaient suivre à la haute mer le chenal au sud de l'île
Salamis; c'est par là que j'envoyai l'"Aspic" porté de nos nouvelles,
et, sur la demande de l'amiral anglais, protéger le bateau du câble contre les
attaques des pirates.
Durant la nuit du 28 au 29, nos embarcations draguèrent la passe, qui nous
inspirait des doutes, et constatèrent l'état des radeaux.
Cette double opération fut admirablement conduite par MM. Campion et Merlin,
officiers torpilleurs du "Duguay-Trouin" et de la
"Triomphante".
Les radeaux supportaient simplement des chaînes disposées pour former un
barrage étendu, que nous n'aurions aucune peine à briser; les bouées nouvelles
avaient toute l'apparence de corps morts de pêche, les dragages effectués
autour ne révélèrent rien qui pût faire soupçonner la présence de torpilles.
Le 29, dès le commencement du flot, le "Duguay-Trouin" alla fouiller
dans l'est des radeaux, en bonne position pour canonner la batterie n°6, le
fort n°2 et le fort n°1, en même temps, les autres bâtiments de l'escadre
sortirent de la rivière et la plupart gagnèrent, dans la même marée, le
mouillage de Matsou.
Lorsque
tous eurent franchi la passe Kimpaï, la
"Triomphante" appareilla à son tour, et vint se placer à petite
distance du "Duguay-Trouin".
Deux heures plus tard, il n'y avait plus une seule pièce ennemie capable de
servir; les Chinois, plus soucieux sans doute de la sécurité de leurs troupes,
avaient à peine essayé de riposter.
Sur ces entrefaites arriva le "La Galissonnière",
qui, retenu à Keelung par un coup de vent violent, n'avait pu rallier mon
pavillon à temps.
Le 25, aussitôt qu'il put avoir un pilote, l'amiral Lespès
vint prendre le mouillage de Woga, d'où il espérait
battre les ouvrages de la passe de Kimpaï ; mais,
réduit, grâce à l'étroitesse du chenal et à la violence du courant, à
n'employer que le canon de tourelle tribord pendant que plusieurs batteries de
la passe le menaçaient, il jugea nécessaire, après quelques coups de canon, de
prendre une position moins défavorable.
Le "La Galissonnière" changeait de
mouillage, quand un obus de 21 centimètres, lancé par le canon barbette du Fort-Blanc, l'atteignit à tribord devant, fit un trou dans
la muraille en tôle, tua un homme et en blessa plusieurs autres.
Le 30, "Duguay-Trouin", "La Galissonnière"
et "Triomphante" mouillaient à Matsou vers
la fin de l'après-midi.
L'"Aspic" seul restait au Pic-Aigu pour
garder le câble jusqu'à ce qu'une canonnière anglaise, appelée de Hong-Kong
dans ce but, fût venue le remplacer.
Nous avons éprouvé des pertes cruelles :
10 tués, dont un officier; 48 blessés,
dont 6 officiers.
Quand aux Chinois, impossible de songer à une évolution un peu précise.
Le chiffre fantastique inspiré par la terreur des premiers jours a fait place
au chiffre très admissible de 2 à 3000 tués ou blessés.
Les bâtiments de l'escadre sont en train de pourvoir avec leurs moyens à
diverses réparations, ainsi qu'aux visites des machines, en même temps qu'ils
complètent leur combustible.
La "Nive" les approvisionnés de vivres jusqu'au 15 novembre.
Tel est monsieur le ministre, le résumé sommaire des faits accomplis pendant
cette rude semaine.
Je suis heureux de vous dire que jamais états-majors et équipages ne seront
mieux à la hauteur d'une semblable situation.
Je suis vraiment fier de commander à des officiers, à des équipages que l'amour
de la patrie anime à un si haut degré.
La France peut tout attendre de leur bravoure et de leur dévouement.
Vice-amiral Courbet