Echec de Tamsui 

(8 octobre 1884)

 

Le contre-amiral Lespès avait à sa disposition deux cuirassés, La Galissonnière et la Triomphante, et un croiseur, le d’Estaing.
Il devait, en outre, trouver devant Tamsui la canonnière la Vipère.
Il avait reçu l'ordre d'appareiller de façon à se trouver devant ce port le 1er octobre de bon matin.

 

Il ne s’agissait en réalité que d’un coup de main. On voulait détruire le poste d’inflammation des torpilles, qui barrait la passe, et dégager le chenal. Cela fait, la Vipère devait entrer dans la rivière et canonner les ouvrages chinois. On espérait que ceux-ci, déjà fortement détériorés par un récent bombardement (le 3 octobre), seraient évacués et aisément occupés.

Les défenses ennemies se développaient en arc de cercle, du bord de la rivière au ravin de gauche, sur une étendue de 1500 mètres.

Protégé par le feu des grands bâtiments, le débarquement de fusiliers marins fut effectué sans coup férir, le 8 octobre, vers neuf heures et demie, sur la plage du côté du large. Appuyés par les canons- revolvers des embarcations, moins de 600 hommes – soit cinq compagnies de débarquement -se formèrent à terre sans trop de difficultés. La colonne était commandée par le capitaine Boulineau du ChâteauRenaud.

Ou arriva ainsi jusqu’au bord du ravin. Là, le terrain devenait détestable : des rizières, des bois de mûriers, où chaque arbre cachait un ennemi, des buissons de cactus, des fossés à franchir, des haies à escalader. Le ravin s’étendait en profondeur. En consultant les cartes incomplètes de la région, on avait été trompé sur la véritable distance du fort. Elle était en réalité plus grande qu’on ne le croyait.

Les marins furent reçus par un feu des plus violents. Ils abordèrent le bois, gagnèrent de l’avant, refoulèrent un instant les Chinois, mais leurs efforts furent impuissants. Les deux capitaines des compagnies de tête furent mis hors de combat.

Ce fut alors une série d’engagements corps à corps. Les Chinois s’élancèrent de tous côtés avec une vigueur inouïe, entourant parfois nos hommes et menaçant leur ligne de retraite. La lutte fut acharnée, les munitions s’épuisaient. On combattit à la baïonnette. Le succès était impossible.

Il fallut se retirer en abandonnant les morts. Les Chinois poussèrent des cris de triomphe, leur coupèrent la tête et les emportèrent en trophée à Hubei, la ville qui se trouve près de l’embouchure de la rivière de Tamsui.

C’est le général Soon qui commandait nos adversaires. La plupart d’entre eux étaient des montagnards, ceux que les Chinois appellent les hommes des bois.

En voyant nos bâtiments se préparer à débarquer, le général – qui est un grand admirateur de la civilisation européenne – avait pris d’habiles dispositions. Le bois par lequel nos hommes devaient s’avancer avait été garni d’obstacles, et ordre donné de ne commencer le feu, que lorsque les marins seraient engagés dans les rizières et de les fusiller alors des collines boisées qui dominent les pentes du ravin. C’est ce qui fut fait avec beaucoup de discipline.

Le général, dès la première alerte, avait dirigé des renforts considérables sur le théâtre du combat, et on peut estimer à plus de 3000 le nombre des Chinois qui furent engagés en première ligne. Ils perdirent plus de 200 hommes, chiffres relevés par les médecins anglais qui leur donnèrent des soins. Rien que pendant le combat, on ramena 120 montagnards tués et blessés dans les bâtiments de la mission anglicane transformée en hôpital ; les autres furent relevés plus tard.

Vers 2h, le rembarquement des marins fut terminé. Mais, avant de se diriger vers leurs navires respectifs, ils tirèrent plusieurs salves de mousqueterie sur les Chinois qui avaient la hardiesse de vouloir encore inquiéter le mouvement. Pendant toute l’action, les navires de l’escadre, mouillés sur une ligne parallèle à la côte, ne cessèrent de lancer des projectiles sur le fort, et quelques-uns d’entre eux atteignirent les maisons des concessions.

Dans l’après-midi, le marché de Hubei fut le théâtre d’une scène horrible : six têtes de Français étaient exhibées devant une foule immense, et celle-ci fut sur le point de faire un mauvais parti à des Européens qui n’avaient pu contenir leur indignation à la vue de ce trophée de barbarie. Au camp, on montrait également huit têtes des malheureux tombés sur le champ de bataille, et parmi elles, disaient les montagnards, celle d’un officier à deux galons.

Dans la soirée, le capitaine anglais Boteler, du navire de guerre le Cockshafer, et le consul anglais, M. Pruter, se rendirent auprès du général Soon et lui firent des remontrances énergiques au sujet de cette mutilation de soldats tués les armes à la main, et de cette atroce exhibition. Le général leur promit solennellement de donner des ordres pour prévenir le retour de tels faits, et il lança une proclamation offrant une forte récompense pour tout Français qui lui serait amené vivant.

Le contre-amiral Lespès ne voulait pas débarquer ses hommes ; il avait prédit cet échec, mais avait dû passer outre ses convictions par manque d’effectif. Il avait dit :
« II faut laisser au fusilier marin son unique destination pendant le combat, qui est de tirailler des hunes et du pont sur les ponts et passerelles de l'ennemi. Mais qu'on ne le débarque jamais que pour des opérations très courtes, faites sous la protection des canons des navires… »

 

Outre les 9 tués et les 8 disparus, l'affaire de Tamsui nous coûtait 49 blessés, dont 4 officiers(1). Quelques jours après, le lieutenant de vaisseau Dehorler mourait à Saigon des suites de sa blessure.

Les Chinois, au dire des fonctionnaires des douanes, auraient eu 80 tués et 200 blessés.

L’amiral Courbet, en présence de cet insuccès, renonçant momentanément aux opérations de terre, notifia aux puissances, le blocus de Formose, dont l’objet principal était d’interdire tout commerce par mer avec ce lieu.

(1). Le lieutenant de vaisseau Dehorter, l'enseigne Deman, les aspirants Rolland et Diacre.