Combats de mars 1885, à Kelung

Le 4 mars, à 3h30 du matin, les troupes, l'infanterie de marine en tête, quittent leurs cantonnements, sous les ordres du lieutenant-colonel Bertaux-Levillain ; elles longent la côte est, entre le fort La Galissonnière et le rivage, pour gagner une vallée étroite qui se dirige vers le nord. Deux compagnies d'infanterie de marine cheminent sur les crêtes septentrionales, pour protéger la gauche de la colonne.
L'allongement est considérable, car il faut marcher à la file indienne, dans des sentiers étroits et difficiles.
A 6 heures, la tête d'avant-garde atteint les premières crêtes ; elle se dérobe aux vues de l'ennemi et attend que le petit corps soit massé, pour prononcer son mouvement en avant. Deux massifs se profilent sur la ligne générale des crêtes, l'un derrière l'autre, et dans la direction de l'est : le premier à 2 400 mètres environ du point de concentration ; le second, plus élevé et plus important, à 800 mètres du premier. La prise de possession de ces deux massifs constitue l'objectif de la journée.
L'attaque de celui de gauche est confiée au bataillon d'Afrique, qui se met immédiatement en marche avec un canon de 4 de montagne. Les deux compagnies de la légion et deux compagnies d'infanterie de marine, avec les deux autres pièces, se dirigent droit sur le premier massif.
Le convoi, avec une compagnie d'infanterie de marine, marche en arrière.
A 10 heures, les premières positions sont prises sans coup férir ; peu à peu, cependant, l'ennemi révèle sa présence par des feux très vifs, auxquels nos compagnies s'empressent de répondre. L'escadre appuie le mouvement à l'aide de ses canonnières.
Le combat traîne jusqu'à 4 heures de l'après-midi, moment auquel les Chinois abandonnent leurs positions, que nous occupons aussitôt. Mais à peine sommes-nous installés, qu'ils tentent un retour ollensif. Quelques feux de salve et quelques coups de canon étouffent cette contre-attaque, et nos troupes prennent leurs dispositions pour passer la nuit sur le terrain.

Le lendemain 5 mars, à 6 heures du matin, l'expédition reprend sa marche, les trois compagnies d'infanterie de marine sont en avant ; les derrières de la colonne sont protégés par deux compagnies du bataillon d'Afrique, qui restent sur les positions conquises.
L'ordre de mouvement comporte la prise de l'ouvrage important qui défend la droite des lignes chinoises, le refoulement de l'ennemi le long de ses lignes, et, s'il est possible, leur occupation complète jusqu'aux ouvrages dits de la Table, qui en forment l'autre extrémité.
Cet ouvrage de droite des Chinois apparaît clairement comme la clef de la position. On ne peut songer à l'attaquer de front, tant sont grandes les difficultés d'accès, tant sont nombreuses les défenses accessoires accumulées par l'ennemi sur les pentes qui conduisent à ces retranchements. On débordera l'ouvrage par sa droite, on l'enlèvera de vive force si c'est nécessaire, et, prenant en enfilade les lignes chinoises, on couronnera les crêtes successives qui conduisent à la Table.
Les troupes se portent donc en avant, dirigées par le lieutenant-colonel Bertaux-Levillain ; elles marchent d'abord dans la direction de l'est, descendent dans le ravin qui borde notre position, puis, prenant à droite, elles gravissent, pour en occuper les crêtes et protéger le passage de la colonne, les pentes abruptes qui couvrent du nord au sud et aboutissent à 800 mètres environ du fort chinois.
Bientôt, une vive fusillade s'engage entre nous et l'ennemi, qui occupe le versant opposé de la vallée.
Pendant ce temps, l'artillerie avec la réserve suit le mouvement en s'avançant péniblement à travers un terrain extraordinaireraent accidenté, coupé de ravins et de fondrières, hérissé d'inextricables fourrés de bambous.
Nos tirailleurs ne tardent pas à débusquer l'ennemi et à faire taire son feu ; la marche en avant est alors reprise, toujours avec les mêmes diilicultés, les mêmes obstacles à surmonter. On se porte derrière les crêtes pour tourner la position de l'adversaire, mais, tout à coup, on débouche dans une vallée de plus de 800 mètres.

Sur la gauche, quelques mamelons faisant face au fort permettent de concentrer les feux sur cet ouvrage ; on va pour les occuper immédiatement, mais, hélas ! pour y parvenir, il faut franchir une rizière dans laquelle on enfonce jusqu'au ventre.
Dans cette situation critique, les projectiles chinois tombent comme la grêle et déciment la compagnie d'infanterie de marine, qui est la plus engagée dans cette bourbe.
Le lieutenant-colonel Bertaux-Levillain voyant ces difficultés, lance alors deux compagnies de la légion, l'une sur le fort, l'autre sur la gauche, face au mamelon qui nous fait tant de mal.
Ces braves légionnaires, appuyés par deux compagnies du bataillon d'Afrique, exécutent leur mouvement avec une telle impétuosité que l'ennemi, se sentant menacé sur ses derrières, abandonne toutes les positions comprises entre la Table et les contreforts qui dépendent de ce massif.
Marsouins et légionnaires le poursuivent à l'envi de leurs feux et bientôt le drapeau national a remplacé les étendards chinois. Nos pertes en officiers sont sensibles, particulièrement pour la légion, qui compte 1 sous-lieutenant tué et 2 capitaines blessés. Le bataillon d'Afrique a aussi 1 capitaine et 1 lieutenant blessé.
De chez nous, le lieutenant Licier, fils du brave colonel d'infanterie de marine de ce nom, a la joue traversée par une balle. La nuit arrivait à grands pas quand nous nous emparâmes des dernières hauteurs. Une compagnie de la légion fut installée dans le fort conquis ; l'autre, avec l'infanterie de marine, occupa les mamelons et les crêtes en arrière.
Le temps, qui avait favorisé les opérations de la journée, se brouille dans la soirée et il pleut une partie de la nuit.
Le lendemain, G mars, dès le matin, toutes les compagnies rallient la Table en vue des mouvements ultérieurs.
La journée est consacrée au repos et à l'évacuation des blessés.

Prise du fort Bambou.

Le fort Bambou est situé sur un point culminant d'une altitude de plus de 200 mètres. 11 forme le réduit d'un camp retranché, entouré d'ouvrages de fortification semi-permanente, armés d'artillerie, et défendu par de nombreuses défenses accessoires. Pour y parvenir, il faut monter des rampes très raides, passer à travers des difficultés de toutes sortes; c'est presque l'impossible que nos braves troupiers vont avoir à tenter. Mais ce mot n'existe pas pour eux ; ils vaincront ou ils mourront.

L'ordre de mouvement arrêté par le colonel Duchesne porte que, pour l'attaque de cette position, qui aura lieu dans la mati- née du 7, il sera formé deux colonnes : celle de droite, composée des quatre compagnies du bataillon d'Afrique et d'une compagnie de la légion, aura pour mission d'enlever le cirque sur lequel se trouve le fort Bambou ; celle de gauche, sous les ordres du colonel Bertaux-Levillain, composée des autres troupes, doit livrer un combat démonstratif destiné à attirer de son côté les forces chinoises qui, par ce fait, dégarniront le cirque. L'artillerie et la réserve resteront dans une position d'expectative, en arrière des lignes, aux ordres du colonel Duchesne, pour être employées suivant les circonstances.

A 6 heures 1/2 du matin, le 7 mars 1885, la colonne de gauche se met en mouvement. Une compagnie de la légion et les 20e et 27e du 3e (capitaines Jacomel de Cauvigny et Cormier) marchent en première ligne.
Une compagnie du régiment étranger est installée sur l'éperon qui aboutit à la rivière de Tamsui ; les légionnaires avec les 26e et 27e forment l'échelon du centre.
Le feu de l'ennemi est tellement violent qu'une pluie de projectiles s'abat autour de nos hommes, lesquels d'ailleurs ripostent avec beaucoup de vivacité. A un moment donné, même, les munitions s'épuisent et le colonel Duchesne est obligé d'envoyer la 22e du 2e (capitaine Thirion) chercher un ravitaillement de cartouches. Elle accomplit sa mission très rapidement et bientôt l'attaque est si impétueuse que les Chinois se trouvent dans l'obligation de dégarnir une partie de leur ouvrages de droite pour s'opposer à la démonstration.
L'autre colonne, qui est massée en arrière de l'un de nos postes avancés et, par conséquent, dérobée aux vues de l'ennemi, profite de ce mouvement pour démasquer et tomber sur les lignes de défense qu'elles ont pour objectif.
Dès le commencement de l'action, la 27° du 2° (capitaine Cramoisy), qui occupait, depuis la veille au soir, une pagode fortifiée au bas des pentes que couronne le fort Bambou, se porte sur les hauteurs pour faire une diversion vers la droite ; continuant sa marche en avant, elle ouvre un feu rapide très nourri sur les positions chinoises.
L'ennemi surpris croit à des forces sérieuses de ce côté et reste hésitant. Les zéphyrs en profitent pour pousser vigoureusement leur attaque et enlever le cirque.
A ce moment, les marsouins de la colonne de gauche s'élancent aussi en avant et, malgré la supériorité numérique de l'adversaire, le forcent à prendre la fuite.
Les 26e, 27e et 28° du 3e (capitaines Jacomel de Cauvigny, Cormier et Melse) montrent une audace qui va jusqu'à la témérité. Les pertes chinoises dépassaient un millier d'hommes sur les 10 000 hommes alignés
les nôtres étaient aussi très sensibles; nous avions 41 tués et 157 blessés.
Dans ce nombre l'infanterie de marine figurait pour 5 tués et 29 blessés.