Les Mauges au cœur de la Révolution

 

Pagus Medalgicus

Mauges ne vient pas de « mala gens », comme l'ont insinué quelques historiens à qui l'on pourrait retourner l'épithète. Célestin Port en verrait une étymologie plus vraisemblable en « pagus medalgicus », pays minier, à cause de l'existence très ancienne, non seulement aux bords du Layon, mais beaucoup plus bas, vers Saint-Rémy ou La Chapelle-Aubry, de gisements de fer, de plomb, d'or et même de houille, exploités dès l'époque romaine et peut-être auparavant.

C'est le séjour antique de la tribu des Ambilatres. Nous le voyons, au xe siècle, enclavé entre les pays d'Anjou, de TifFauges et d'Herbauges, et limité au nord par la Loire, vers l'est par le Layon et l'Hyrôme, vers l'ouest par la Divatte et vers le sud par la Moine, à l'exception des cantons actuels de Champtoceaux et de Montfaucon qui dépendent respectivement des évêchés de Nantes et de La Rochelle. Soit, en bref, les quarante-deux paroisses du Doyenné de Jallais, auxquelles s'ajoutent la zone de St Florent le Vieil, et au sud le pays Choletais.

 

Le mécontentement monte…

Pays tout désigné pour une guerre d'embuscades et de guérillas.

A la veille de la Révolution, quatre routes seulement y donnent accès ; la première, projetée de Saumur aux Sables par Cholet, s'arrête à Tiffauges; une autre doit joindre Angers et La Rochelle, mais pour l'instant ne dépasse pas Chemillé; celle de Nantes à Saumur est seulement amorcée par Geste, Beaupréau, Jallais, Chemillé et vient buter à Doué-La-Fontaine ; une quatrième, enfin, vient d'être ouverte de Chemillé à Chalonnes.

Une seule voie navigable, tout au nord : la Loire et le canal du Layon.

En dehors de cela, nulle communication, que par des routes indignes de ce nom, successions de fondrières, ou des chemins creux à peine praticables à cheval aux beaux jours, presque inaccessibles les trois quarts de l'année, car ils servent en même temps de lit à des ruisseaux, et dont le lacis déconcerte tout autre que l'indigène.

Dans des habitations médiocres et clairsemées en de secrètes clairières, une population mal vêtue et mal nourrie de pain de seigle — le méteil est pour les moins pauvres — sans viande ni vin le plus souvent ; aux agglomérations, une quantité d'indigents dont la proportion va quelquefois jusqu'à quatre-vingt-dix pour cent du total ; des procédés de culture rudimentaires, au point qu'en 1789 il n'y a pas douze cents charrues, si primitives soient-elles, dans toute l'étendue des Mauges, et que des paroisses entières n'en ont pas une, comme ND de Beaupréau ou Montfaucon ; une méthode d'assolement qui transforme en genêtières touffues, deux ans sur trois et souvent plus, une grande partie des terres cultivables ; landes, au demeurant, propices à l'élevage, qui est aujourd'hui encore la grande industrie du pays.

Aux approches de la Révolution, cette situation économique déjà mauvaise devient pire ; la fiscalité s'aggrave et la mévente des récoltes ajoute à la misère déjà supportée. Le changement de régime n'adoucit en rien ces maux, et le mécontentement grandit...

Passablement ignorant, en majorité illettré ou presque, très religieux et volontiers superstitieux, le paysan maugeois, dans ces conditions de vie précaire, mène une existence recluse et patriarcale ; laborieux par tempérament, sobre par nécessité et réservé par atavisme, le clocher de sa paroisse, but de ses plus lointains voyages, est pour lui le centre spirituel et temporel de son clan.

 

Enfin les changements…

Les malheurs qu'il doit supporter depuis des années de pauvreté rendent le changement inéluctable, et les sujets sont appelés à donner leur avis; les "cahiers" des Etals Généraux sont éloquents, qui crient la misère dont les campagnes sont accablées, la gabelle odieusement tyrannique, l'impôt injustement réparti, la gabegie des emplois inutiles. L'Anjou ni le Poitou ne sont les derniers à émettre leurs protestations, surtout contre la gabelle et contre la « milice » non moins exécrée.

Les événements se précipitent, et c'est l'Assemblée Nationale, et la Constituante, et la Convention... Un immense espoir avait fait adopter d'enthousiasme les changements qui bouleversaient de fond en comble un état de choses séculaire mais périmé. Or la situation économique est loin de s'être améliorée, et les déceptions grandissent...

 

Touche pas à mon curé !

Parmi tant de réformes votées dans une fièvre d'épuration, il en fut une dont on peut dire qu'elle est de ces fautes pires que des crimes ; un historien peu suspect de conservatisme a écrit que la Constitution civile du Clergé fut « une organisation imaginée à l'encontre de la raison et de la justice »  et un prêtre défroqué, Caveleau, qui fut le premier Secrétaire Général de la Vendée, dit de son côté que le " serment " exigé des prêtres catholiques — sanctionné par Louis XVI, le 20 décembre 1790 — "a fait plus de mal à la France que les échafauds de Robespierre et les armées de l'Europe coalisées contre elle ».

Sur les populations profondément religieuses des Mauges et du Bocage, l'effet devait en être aussi fatal qu'irréparable : habitué à révérer avant tout son curé, le Vendéen — nous lui laisserons désormais ce nom — n'admet pas de le voir molester au nom d'on ne sait quel principe qui lui échappe, ni surtout de se le voir enlever pour être remplacé par un intrus; les nouveaux venus qu'on lui envoie, les assermentés, qu'il appelle

les «jureurs», sont en but à la réprobation et même aux vexations de leurs ouailles; les insermentés, les "bons prêtres", autant qu'ils n'ont pas été emmenés de force, continuent leur ministère en marge de la loi et du gendarme ; tel le bandit corse qui « prend le maquis », ils trouvent partout aide et protection, et chaque manoir ou chaque masure est pour eux un refuge tout prêt ; aujourd'hui encore, dans de vieux logis qui ont échappé aux destructions du temps et des hommes, on peut voir de ces « caches aux prêtres " qu'un système de trappes plus ou moins ingénieux dissimulait aux recherches et aux perquisitions.

Cependant, les événements qui se traduisent à Paris, jusqu'en 1792, par des convulsions tragiques — la fuite à Varennes, l'internement au Temple, la proclamation de la République, voire même la mort de Louis XVI — ne semblent pas ici frapper les esprits aussi vivement que la persécution religieuse...

Qu'importe, au fond, l'étiquette du régime à des gens qui, retirés depuis toujours dans leurs halliers, n'ont jamais connu le Pouvoir central que sous l'espèce indésirée de quelque collecteur de l'un ou l'autre impôt? Quel attachement peuvent-ils vouer à un monarque qu'ils n'ont jamais vu, dont ils n'ont jamais reçu aucun bienfait direct, aucun soulagement à leurs misères, et qui même a contresigné les fatals décrets d'où vient la proscription de leur clergé, unique intermédiaire entre eux et Dieu qui seul compte ? Quelle influence peuvent avoir sur lui les nobles qui ont émigré ? Ils sont loin, et ceux qui sont restés ou revenus semblent s'accommoder au moins mal du régime, en tout ce qui ne touche point aux convictions religieuses qu'ils partagent avec le peuple.

 

La levée des 300 000.

Et voici, brusquement, comme une éruption de volcan, l'explosion brutale, formidable, de tout le foyer de révolte qui bouillonnait sous cette apparente apathie : la Convention a décrété la levée de 300.000 hommes...

Le 10 mars 1793 est fixé pour leur appel... Ce « tirage de la milice » qu'ils exécraient sous l'ancien régime, et que celui-ci rétablit au centuple, les Vendéens ne l'acceptent pas; et partout à la fois ou presque, c'est une insurrection dont l'ampleur et la soudaineté frappent de stupeur la France et le Monde...

Il faut bien se rendre à l'évidence : la première manifestation des « Guerres de Vendée » fut à l'origine un soulèvement de refractaires. Pour ces indépendants de toujours, l'habit bleu de la République était aussi étroit d'épaules que l'habit blanc du Roi. Pendant des mois et des ans ils se battirent, avec un courage surhumain et farouche pour ne pas aller servir, dans un pays qui n'était pas le leur, un maître qu'ils n'avaient pas

élu. Ils furent guerriers par horreur d'être soldats, et luttèrent pour leurs libertés, celle de leur personne comme celle de leur foyer, celle de leurs

autels, de leur foi, et de ses ministres persécutés.

Les combattants Vendéens-Maugeois, s'il faut leur trouver un nom, ne sont pas assimilables aux Chouans du Maine ou de Bretagne, même si l'Histoire les réunit souvent comme opposants à la République. Beaucoup de villes des Mauges, dont Cholet, furent les premières à se battre pour les libertés et contre la dictature de la monarchie.

Mais les Vendéens-Maugeois n'eurent jamais pour insigne la fleur de lis, mais le Sacré-Cœur cousu sur l'habit et le chapelet à la boutonnière, à l'imitation de Cathelineau qui les arbora le premier ainsi le jour qu'il partit du Pin.

Croyons-en le témoignage d'Henri de La Rochejaquelein lui-même, disant au Chevalier de Tinténiac, émissaire de Pitt : « La levée de 300.000 hommes, l'interdiction jetée sur toutes les églises, les persécutions contre les prêtres, la violation de tous nos droits et de toutes nos libertés, voilà ce qui nous a mis les armes à la main »... Et il est de fait qu'en 1796, lorsqu'une accalmie rendit aux Vendéens la liberté de leur culte et de

leurs droits, d'Autichamp ne trouvait plus de volontaires pour le service du Roi, alors qu'Outre-Loire les Chouans du Maine et de Bretagne n'avaient pas désarmé...

 

La guérilla, pas l’armée.

Chez ces croisés, nulle organisation semblable à une armée telle qu'on la conçoit d'ordinaire : ni régiments, ni bataillons; une seule unité tactique: la paroisse, aux effectifs infiniment variables, en fonction de l'éminence du péril ou des besoins de la terre, avec son capitaine élu par ses hommes et souvent contraint d'accepter le commandement sous menaces et de marcher le premier.

Leur tactique était à l'unisson : elle se réduisait à se répandre en silence derrière les haies — cela s'appelait « s'égailler » — pour envelopper l'ennemi le plus possible ; après une première fusillade — quand on eut des fusils — on s'élançait sur lui avec des cris sauvages, les plus agiles courant d'abord aux canons ; dès qu'il voyaient la lueur du coup, ils se jetaient à plat ventre et, la décharge passée, reprenaient leur bond jusqu'à la rafale suivante, et ainsi de suite jusqu'à pouvoir attaquer les canonniers corps à corps ; aux premiers engagements, quand les Vendéens n'avaient guère d'autres armes que des fourches et des gourdins — car leur seul ravitaillement en bouches à feu comme en fusils leur vint toujours de prises sur les « Bleus » — ils enlevèrent ainsi le « Missionnaire » et la « Marie-Jeanne », ces deux pièces de canon qui furent leurs premiers

trophées et leurs fétiches. On ne put jamais leur apprendre à se garder ni à faire des patrouilles, et quand la nécessité s'en présentait, c'était aux officiers à faire eux-mêmes le nécessaire.

 

Hors de leurs chemins creux et de leurs haies, dont ils savaient se servir avec une instinctive habileté, ils furent presque toujours battus en terrain découvert, dès qu'ils eurent affaire à des troupes aguerries et militairement encadrées.

Braves comme des lions à l'attaque, et sujets aux plus folles paniques, leur discipline toute relative s'arrêtait avec le combat ; après quoi, chacun s'en retournait chez soi, ne revenant qu'au son du tocsin pour un nouvel engagement ; et il fut toujours impossible de leur faire conserver longtemps une position, celle-ci eût-elle été conquise au prix des plus grands sacrifices ; c'est ainsi qu'ayant pris Saumur, une garnison de quatre mille hommes y fut laissée, sous le commandement d'Henri de La Rochejaquelein, mais se fondit si vite que celui-ci dut abandonner la place avant la quinzaine passée, n'ayant plus que quelques officiers auprès de lui. Et c'était d'eux pourtant que Kléber écrivait à Merlin de Thionville : « A leur contenance et à leur mine, je te jure qu'il ne leur manquait du soldat que l'habit. Des troupes qui ont battu de tels Français peuvent bien se flatter de vaincre tous les autres peuples. »

 

Les massacres.

A coté des officiers "Bleus" plus ou moins valeureux dans le rôle qui leur était attribué, il y eut les bourreaux, et, au premier rang d'entre eux, l'abominable Turreau, l'inventeur, l'organisateur et le metteur en œuvre, en 1794, de ces « colonnes infernales » qui dévastèrent méthodiquement en quelques jours la Vendée désarmée et dépeuplée — mesure aussi inepte que monstrueuse, qui fit bientôt souffrir de la famine aussi bien les « Bleus » que les «Blancs»: — plus de six cent villes ou villages, sans compter les fermes et métairies, furent incendiés et ruinés, les récoltes détruites, les populations — femmes, enfants, vieillards — passées au fil de la baïonnette.

Les généraux qui l'assistent ont à cœur de renchérir sur ses ordres :

- Cordelier se vante d'avoir, à lui seul, fait fusiller ou égorger « plus de 600 personnes des deux sexes », dont deux cent le même jour dans l'unique bourg de Gonnord,

- Crouzat, Caffix, le tapissier Boucret, le boucher Huche, qui se targuait lui-même d'être devenu « boucher de chair humaine », font assaut de férocité

- Amey fait allumer des fours pour y jeter, vivants, des femmes et des enfants

- Commaihe, ancien perruquier, éprouve le fil de son sabre en fendant en deux, journellement, des enfants de «patriotes» comme de « brigands »

- Grignon, ancien marchand de bœufs, règne sur des abattoirs, et fait égorger jusqu'aux municipalités en écharpe, venues à sa rencontre en signe de soumission.

 

Pendant ce temps, Turreau — c'est le rapport à la Convention du Représentant Lequinio, peu suspect en la matière, qui nous signale tout ceci — « se soûle continuellement et se tient toujours fort éloigné du feu ».

Destitué, arrêté, Turreau échappe de justesse à l'échafaud, ce qui lui permettra de servir le Consulat, d'être ambassadeur sous l'Empire, et, renégat de Napoléon, d'être décoré par Louis XVIII de la croix de Saint-Louis ! Mieux encore : les vieux Vendéens écœurés verront le Général Turreau de Garambouville — car il a repris sa particule de « ci-devant » — parader, ainsi chamarré, dans la suite du Duc d'Angoulême lors de la visite que leur fit en 1814 ce Prince, qui n'en fut pas alors à une maladresse près. Purent-ils, ce jour-là, croire à une Justice immanente ?

 

Une vue d'ensemble, pourtant, pour situer la marche des temps :

Le 12 mars 1793, à St-Florent-le-Vieil, une échauffourée oppose gendarmes et gardes nationaux du District avec les conscrits qui se refusent au «tirage»; le sang coule, les archives sont jetées aux flammes, et les « gâs » triomphent, sans souci du lendemain. Mais, ce lendemain, prévenu des événements, Jacques Cathelineau, au Pin-en-Mauges, prévoit l'inévitable répression, et part avec vingt-huit volontaires armés de fourches et de faux pour enlever Jallais, où se tient une garnison de Bleus ; la troupe se grossit en route, comme une rivière d'affluents... avant La Poitevinière ils sont quarante, ils seront cinq cents en en sortant le 14 mars.

Jallais est pris, et Chemillé ; Stofflet et sa bande se joignent au mouvement ; marche sur Cholet, où est tué l'ex-marquis de Beauveau, sans-culotte et chef de la garde nationale ; Cholet est enlevé, puis Coron et Vihiers. Bonchamps et d'Elbée, enrôlés par force, sont reconnus comme généraux. Bressuire, Thouars, Parthenay, Fontenay, Doué-La-Fontaine, Montreuil-Bellay, Saumur enfin, puis Angers, tombent aux mains des Vendéens, dont ces succès trop étendus causeront la perte, car ils ne pourront les exploiter, faute de discipline.

 

La Convention s'émeut, et envoie des troupes plus solides. Echec devant Nantes, où Cathelineau est tué ; déroute ; Westermann bat les Vendéens à Parthenay, mais son armée est détruite à Châtillon. D'Elbée est nommé généralissime à la place de Cathelineau, et les jalousies entre chefs s'accentuent. Les combats se poursuivent, avec des fortunes diverses : Kléber et ses « Mayençais » sont battus à Torfou par Bonchamps et Charette... Westermann prend sa revanche à Châtillon même, après trois journées de luttes acharnées et de massacres réciproques ; Kléber a la

sienne à Cholet.

C'est la déroute : d'Elbée est couvert de blessures, Lescure et Bonchamps frappés à mort... la « Grande Armée », et les populations des Mauges à sa suite, se précipitent pour passer la Loire, au-delà de laquelle on espère le secours des Chouans et l'aide des Princes. Et c'est, le 18 octobre, la tragique journée de Saint-Florent-le-Vieil, fatale et désastreuse entre toutes, où le magnanime Bonchamps s'immortalise en son trépas ; Lescure, qui l'a suivi dans la générosité, le suivra dans la mort après un long et douloureux martyre.

 

la Virée de Galerne

Lamentable odyssée que cet exode de tout un peuple vers une illusion de terre promise, dans un pays qui lui est inconnu et lui sera souvent hostile... Elle doit son nom au vent de nord-ouest (noroît) froid et humide qui souffle en rafale sur l'ouest de la France, le vent de Galerne ou gwalarn, en breton.

Laval, Entrammes, Mayenne: alternatives de victoires sans lendemain et de défaites sans espoir... misère toujours croissante pour le douloureux troupeau de vieillards, de femmes et d'enfants, que les combattants traînent à leur suite... abominable marche au calvaire où tout un peuple perd son sang...

Et c'est vers la Loire une retraite plus effroyable encore, jalonnée de cadavres. Des quatre-vingt mille qui avaient passé le fleuve en octobre, il n'en reste plus que quelques milliers deux mois après, dont beaucoup seront encore décimés dans les prisons de Nantes ou dans la Vendée dévastée... De ceux qui participèrent à cette expédition funeste, quatre pour cent, en moyenne, reverront leurs foyers !

C'est pourtant sur ce pays crucifié, sur cette race exsangue, que l'abominable Turreau va s'acharner pour l'exterminer, s'il se peut, pour enlever à la douloureuse Vendée tout ce qui pourrait encore y faire vivre des hommes. Et tandis qu'à Nantes le monstrueux Carrier procède aux noyades, il lance sur le pays la meute de ces douze colonnes infernales qui surpasseront Attila.

Les mânes de tant de victimes innocentes susciteront des vengeurs...

 

Cependant, la chute de Robespierre a terrassé la Terreur; la Convention propose la paix aux rebelles et leur promet la liberté religieuse ; Charette signe le premier, à La Jaunaie, le 12 février 1795 ; Stofflet, dont les principaux lieutenants se sont vendus à prix marchandé, se sent abandonné, et signe à son tour, le 2 mai, à Saint-FIorent-le-Vieil...

Paix trompeuse, où nul n'est de bonne foi...

Des le 22 juin, sur un mot d'ordre venu des Princes — avec un brevet de Lieutenant-GénéralCharette, le premier, rompt la trêve jurée. Stofflet, conseillé par Bernier, hésite encore et tergiverse, car il sent bien que le recrutement s'épuise. Le désastre de Quiberon, le deuxième débarquement manqué du Comte d'Artois à l'Ile d'Yeu, sont de nature à décourager la Vendée: et Charette, désormais, est résolu à «mourir en combattant sans espoir». Hoche, investi du commandement en chef de l'Armée des Côtes de l'Océan, le poursuit et le défait à La Bruffière, près de Mortagne, le 1er janvier 1796 ; Travot le fera prisonnier, abandonné de tous ses lieutenants, le 23 mars, à La Chabotterie...

Le 26 janvier 1796, prétextant d'un traquenard où les hommes de Hoche ont fait tomber Couëtus, officier de Charette, pour l'envoyer au poteau, il lance à son tour l'appel aux armes, en même temps qu'il dépêche le Chevalier de Colbert au Comte d'Artois pour lui notifier son désir de voir enfin l'Altesse Royale parmi ses Vendéens... L'appel aux armes ne rend guère, et le Prince pas du tout... Avec trois cents hommes réunis à

grand'peine, il se rue à d'inutiles escarmouches, répétant à tout moment : «Nous marchons à l'échafaud !... » Hoche le traque de plus près; le 23 février, l'abbé Bernier le convoque à un rendez-vous à la Saugrenière : entrevue sans conclusion ; à deux heures du matin, l'abbé se retire... à cinq heures les Bleus de Loutil sont là... après une lutte à coups de poing, Stofflet, criblé de blessures, est fait prisonnier; le 25 février il est fusillé à Angers.

 

Renaître à tout prix

Pendant trois ans la malheureuse Vendée va travailler à relever ses ruines, tandis que la Chouannerie continue dans la Bretagne et le Maine ; des vieillards, des femmes, des enfants — tous les hommes ayant disparu — tels sont les occupants de plus d'une métairie, ou du moins des murs croulants et calcinés qui en marquent la place, et que l'on remonte péniblement et lentement, faute d'artisans et de matériaux. Les loups, attirés par les cadavres mal enterrés, infestent le pays; tout manque : mobilier, vêtements, bestiaux, semences; et cependant, peu à peu, la vie reprend sur ce charnier.

Mais les tracasseries du Directoire la paralysent : la proclamation, le 12 juillet 1789, de la « Loi des Otages » vient irriter les esprits. D'Angleterre, le Comte d'Artois fait annoncer sa proche venue à la tête des Royalistes de l'Ouest — ce qui lui sera l'occasion d'une troisième dérobade.

Une conférence de tous les chefs de la Chouannerie et de la Vendée ne recueille pas une décision unanime ; d'Autichamp, entre autres, n'est pas d'avis de reprendre les hostilités, prétendant attendre l'ordre écrit du Roi: — en réalité, instruit par l'expérience de 1796, où, après la mort de Stofflet, il eut tant de peine à rallier quelques partisans, il craint cette fois un résultat pire encore.

Forestier le devance, et, en juillet, ayant rassemblé huit mille hommes, met Delaaage en déroute à Montrevault ; blessé à Cirières, il voit ses troupes rentrer dans leurs foyers. Entraîné par la force des choses, d'Autichamp s'est décidé à son tour : avec Suzannet et Grignon il réunit douze cents paysans ; Grignon bat les Bleus à Pouzauges, et l'armée se grossit ; ils sont maintenant cinq mille à suivre d'Autichamp, parmi lesquels beaucoup de jeunes volontaires qui n'ont jamais vu le feu. On décide d'enlever Les Aubiers, où tient garnison le capitaine Lavigne avec deux cents soldats ; retranchés dans le clocher, ceux-ci résistent pendant trente heures et forcent l'assaillant à se replier, tandis que de Bressuire le colonel Hardouin accourt avec huit cents hommes et défait complètement les Vendéens, qui se débandent...

Gogué est vaincu près de Clisson, Suzannet à Montaigu, Grignon laissé pour mort à Chambretaud ; leurs troupes se dispersent...

Depuis le 12 mars 1793, cinq cents mille victimes, tant d'un parti que de l'autre, ont péri dans une lutte inutile et fratricide...

Partout la Vendée est vaincue ; sans foi dans la victoire, ses soldats se défient de leurs nouveaux chefs qu'ils ne connaissent pas et n'ont pas choisis : ces jeunes nobles revenus d'émigration, pleins de morgue et se croyant tous les droits à tous les grades du fait de leur naissance. Le découra-gement est général, Hédouville et Travot en profitent pour négocier : Madame Turpin de Crissé, qui a déjà travaillé pour Hoche en 1796, accepte la mission ; mais les conférences sont à peine ouvertes qu'un fait nouveau vient tout changer :

Le 18 Brumaire jetait bas le Directoire rongé aux vers. Bonaparte, qui a maintes fois exprimé son admiration pour les Vendéens, mais qui sait leur force latente et redoutable, donne tous ses soins à les pacifier.

Consul, l'ambitieux Bernier lui est un docile instrument pour négocier avec Rome ce Concordat que quelques-uns repoussent, mais qui assure au plus grand nombre la liberté et la légitime pratique de la religion pour laquelle ils ont souffert et lutté pendant dix ans. Empereur, il dote le Département d'une capitale neuve — La Roche-sur-Yon, devenue « Napoléon-Vendée » — qui peut servir tout aussi bien de camp retranché que de Préfecture, aux portes même du Bocage; il trace les premières routes qui permettent de sillonner rapidement le pays ; mais il ne s'en tient pas à ces aménagements économico-stratégiques : il donne pour la reconstruction des églises, il protège le clergé, prête de l'argent à la ville de Cholet pour relever son commerce et donner du travail aux tisserands de la région, la dote d'un Tribunal de Commerce et d'un Collège, installe à Beaupréau une Ecole d'Arts et Métiers.

Les agents de Louis XVIII, pourtant, ne perdent pas l'espoir d'une revanche ; mais les chefs royalistes répondent qu'ils ne se lèveront plus maintenant que conduits par un Prince.

 

Mais l'Empire, attaqué par les Alliés, décrète une nouvelle levée d'hommes, et la crainte de la conscription, tout comme en 93, donne à d'Autichamp et à Louis de La Rochejaquelein une armée de réfractaires, qui n'aura du reste pas à combattre : l'Empereur prend le chemin de l'Ile d'Elbe — ce qui permet au Comte d'Artois de débarquer enfin, par terre, aux Tuileries ouvertes par les Alliés.

L'allégresse des vieux royalistes diminua rapidement quand ils virent le Roi s'entourer de terroristes rassis et d'impérialistes renégats.

 

L'Empereur revient... Le 1er mars 1815 il est au Golfe Juan; le 24, il couche aux Tuileries et Louis XVIII est déjà reparti vers Gand. Le Duc de Bourbon, envoyé dans l'Anjou pour y organiser une résistance à l'usurpateur » sent la partie perdue, et accepte, le 25 mai, les passeports qu'on lui offre. Travot, sous les ordres de Lamarque, a reçu de Napoléon la mission de mater les rebelles s'il le faut; il n'y faillira pas... Quelques combats secondaires, à Saint-Pierre-des-Echaubrognes, à Aizenay, aux Mathes où périt La Rochejaquelein, à Rocheservière enfin, où, le 20 juin, les royalistes cernés doivent mettre bas les armes, et échanger, une promesse d'amnistie contre un engagement de ne plus les reprendre.

Encore une fois la Vendée est vaincue, l'Empire triomphe... il triomphe en Vendée... dans les mêmes jours il s'écroule à Waterloo.

Dernière guerre où manquait l'âme d'un Cathelineau. D'Autichamp et ses lieutenants viennent de réaliser que, depuis l'avènement de Bonaparte et la pacification religieuse, la vieille Vendée militaire n'a plus de raison de s'insurger.

L'occupation prussienne, à Nantes et à Angers, au nom du Roi, fait plus pour la réconciliation des partis que des années de diplomatie.

Chefs vendéens et grognards de l'Empire communient dans le même sentiment patriotique.

 

L'avènement de Charles X, le 6 septembre 1824, donnait quelque espoir aux vieux Vendéens d'être enfin traités avec moins d'injustice : on décidait de leur allouer des pensions... mais parmi les «parties prenantes » furent inscrits de grands seigneurs qui, s'ils n'avaient jamais fait la guerre, avaient au moins fait des dettes, et brûlaient du désir de les payer, tandis que d'autres se virent frustrés, qui avaient des droits certains : de là des protestations pour « fraude en matière de pensions abusives »

1830... Les « Trois Glorieuses »... le succès de Bourmont à Alger n'a pu sauver le Roi ni ses ministres de l'impopularité grandissante. Charles X tergiverse un instant devant les événements, puis abdique en faveur du Duc de Bordeaux... Inutile précaution... le monarque déchu se retire à

Rambouillet : départ qui stupéfie la France, et atterre les fidèles de Vendée, qui toujours blâmeront une telle fuite.

 

Extrait de Mauges et Bocage , de Marc Leclerc (1935)