LES
Souvenirs
de Louise Barbier (1783-1871)
sur
l'Insurrection Vendéenne
A la
mémoire de notre ami
Léon BONNINEAU.
AVANT-PROPOS
Ce n'est pas sans une
certaine tristesse que l'été dernier nous avons rentré dans la Bibliothèque de
notre Musée, avec quelques centaines de brochures, de nombreuses liasses de
toutes sortes, vieux documents authentiques, notes, lettres, papiers divers en partie
déclassés par des déménagements successifs. L'ensemble provenait de la
bibliothèque et des archives de notre regretté camarade Léon Bonnineau.
Nous songions à la vie toute intérieure et si brève de notre ami, à son travail
continuel, de « bénédictin », au milieu de ses papiers tant aimés, à ses
recherches scrupuleuses si brutalement interrompues, à l'intérêt qu'il portait
à notre Musée et à ses collections.
Un premier examen nous permit
de réunir rapidement toute une série de papiers, en quelque sorte de famille,
parmi lesquels nous découvrîmes des « Notes » sur les événements de la
Révolution et sur l'Insurrection vendéenne, des « Souvenirs » dictés
par une arriére grand-maman et par des grand-tantes qui avaient vécu et
souffert ce terrible drame.
La lecture de ces minces
cahiers jaunis, des feuillets séparés qui les accompagnaient, des notes tantôt
écrites à l'encre, tantôt griffonnées au crayon sur quelque débris
d'enveloppes, des essais généalogiques raturés et maintes fois repris, nous
donna bientôt la certitude que la plume avait été tenue par M. Joseph Chaillou,
le grand-père de notre ami, dans le cours des années de 1866 â 1870. Nous
connaissions depuis longtemps déjà son goût intense pour tous les souvenirs
choletais.
L'énoncé des événements que
nous parcourions nous parut empreint d'une vie intense ; des détails
particuliers, — de ceux qu'on ne peut inventer et qui ne se copient pas, —
attirèrent notre attention. Nous trouvâmes deux rédactions de la partie
principale de ces souvenirs : celle d'apparence la plus soignée nous parut
postérieure à l'autre. En la relisant, nous y retrouvâmes des indications déjà
notées dans l'Histoire de Cholet de M. Amaury-Gelusseau, parue en
1862. Nos préférences allèrent vers les notes écrites plus hâtivement,
entremêlées de ratures, aux phrases quelquefois incorrectes, souvent sans
ponctuation. Elle nous parut la dictée même de l'aïeule, Louise Barbier, veuve
Champeaux, dont la mémoire était mise à contribution et qui racontait simplement,
naïvement même, à ses petits-enfants les événements vécus dans son enfance.
Par quelle pudeur, et M. J.
Chaillou, et notre ami Léon Bonnineau gardèrent-ils secrets ces intéressants
souvenirs ?
Un souci scrupuleux de ne pas
éveiller les anciennes passions qui dressèrent nos concitoyens les uns contre
les autres ? Nous inclinerions à penser qu'ils ne leur attribuèrent qu'un intérêt
tout personnel ou familial. A l'époque où ils furent recueillis, la mode
n'était pas encore aux documents de première main. Plus tard, les publications
de souvenirs particuliers, ceux de Poirier de Beauvais, ceux de Mme de la
Bouëre, et plus près de nous surtout les Mémoires d'un père à ses enfants,
de M. Boutillier de Saint-André, par notre vénéré maître l'abbé Eugène Bossard,
parurent sans doute donner des renseignements plus complets. Peut-être
furent-ils l'occasion de cette rédaction plus soignée, mais demeurée inachevée
?
Peut-être, à la suite, le
grand-père laissa-t-il à son petit-fils qu'il découvrait intensément épris,
comme lui, du culte du souve-nir, le soin de présenter ces notes ? Peut-être
enfin, notre ami, lancé dans ses recherches généalogiques et tout entier encore
à l'accumulation et à l'analyse des documents, réservait-il à plus tard le
moment de mettre à jour ces Mémoires vécues ?
L'intérêt chaque jour
croissant que suscite l'Histoire et en par-ticulier celle de notre pays vendéen
et choletais, ainsi que le désir d'apporter ce travail en hommage à la mémoire de
notre ami, nous a inspiré la téméraire pensée de publier ces « Souvenirs
». Nous avons cru devoir en rectifier l'orthographe et surtout compléter la
ponctuation dont l'absence nuit parfois à la compré-hension du texte.
Les « Souvenirs
» de Louise Barbier sont surtout l'énoncé de faits observés ou vécus,
tels qu'ils auraient pu être décrits au moment même où ils se sont passés.
Dépouillés de cette ambiance légen-daire et tendancieuse dont certains auteurs
se sont plus à envelopper l'histoire de notre Vendée, peut-être paraîtront-ils
trop simples et d'une vérité choquante. D'autres témoignages authentiques
connus peuvent venir les appuyer de leur autorité ; nous en avons joint quelques-uns.
Nous avons réuni aussi les quelques phrases éparses, concernant les événements
préparatoires à l'insurrection, par des citations montrant plus nettement l'exaspération
croissante de nos populations contre les brimades des gens « dans le mouvement
» alors, les misères des âmes frois-sées dans leurs convictions religieuses et
l'explosion subite d'une grande colère qui en fut la conséquence obligée, lorsqu'en
mars 1793 la conscription fit éclater
la révolte.
Le 10 septembre 1767, les cloches de Saint-Pierre tintaient à
toute volée pour le mariage de deux très jeunes gens, que M.David, le vénérable
curé, venait de bénir. Louis Barbier, orphelin de père à vingt et un ans,
épousait une jeune fille de seize ans, Renée Auvinet. Le jeune homme se disait
fabricant de toiles et de mouchoirs, comme la majeure partie des habitants de
notre ville. Il avait pris le même métier que son défunt père et faisait aller
sa navette ou vendait des pièces de toile, tandis que sa mère, Marie Moreau,
remariée déjà à Louis Martineau, plus jeune qu'elle de onze ans, continuait à
tenir l'auberge des Barbier, en face de l'église, à l'enseigne, dit-on, de la
Tête Noire.
Car depuis des générations,
les Barbiers, au lieu de manier ciseaux et rasoirs ainsi que leur nom semblait
l'indiquer, ven-daient à boire et à manger, logeaient à pied et à cheval ; ceux
dont nous faisons connaissance, à Saint-Pierre ; d'autres, des cousins, sur la
place du Prieuré (la place Rougé actuelle), à l'enseigne du Lion d'Or.
En outre de sa mère et de son
beau-père, le nouveau marié était assisté de Charlotte et de Madeleine Moreau,
ses tantes, de Louise Martineau, sa demi-sœur, que nous verrons apparaître dans
le récit Cette dernière épousera bientôt le blanchisseur Jean Blain, qui sera «
l'oncle Blain » dont parle notre auteur.
Près de lui se trouvait
encore son frère, Claude Barbier, plus jeune d'un an ; des oncles, des cousins,
Jean Simon, Jean Pasquier, Louis Camus, René et François Guillou, Adrien
Delhumeau dont nous verrons la veuve recueillir notre jeune mémorialiste.
Les Auvinet étaient
fabricants et tisserands, et mariaient leurs filles très jeunes. L'épousée du
jour n'avait que seize ans et habitait sur la paroisse Notre-Dame. Son père, Pierre
Auvinet, avait été chercher son épouse. Renée Guidon, au May, d'une vieille
famille également de tisserands.
Les Guidon étaient venus nombreux
à la noce et nous remarquerons particulièrement une tante de la mariée,
Mathurine Guidon et son mari, François Dupont, qui compteront parmi les aïeux
de notre dévoué Secrétaire et aimable cousin, Elie Chamard, et parmi les
nôtres. Se trouvaient également deux jeunes sœurs de sa mère : Malhurine
Auvinet qui deviendra trois ans plus tard la « tante Coudrais », et, toute
enfant encore, Marie Auvinet, qui neuf ans après sera « la tante Brion, du May
».
Si l’on en croit la morale
habituelle des contes de fées, les époux durent être heureux, car ils eurent
beaucoup d'enfants. Nous en donnons la liste pour que le lecteur puisse se
retrouver plus facilement parmi tous les noms qui apparaîtront dans le récit.
1° Renée Barbier, née
le 19 juillet 1768, épousera avant la
Révolution François Cherbonnier, tisserand du May et habitera Mortagne ;
2° Marie Barbier, née
le 11 septembre 1769 ;
3° Modeste Barbier,
née le 10 février 1771, sera fusillée
place Saint-Pierre en 1794 ;
4° Louis Barbier, né
le 17 juillet 1772, tout d'abord
tisserand, enrôlé militaire, fera onze ans de service ;
5° Pierre Barbier, né
le 14 octobre 1773. Pris militaire à la
conscription, il fut tué en Bohême ;
6° Jeanne Barbier, née
le 23 février 1775 ;
7° Rosalie Barbier, née le 30 mars 1776 ;
8° Victoire Barbier,
née le 17 septembre 1777 ;
9° Cécile Barbier, née
le 13 mars 1780 ;
10° Alexis Barbier, né
le ... juin 1782, dut mourir jeune, car
on ne retrouve aucune de ses traces ;
11° Louise Barbier,
née le 22 mai 1783, notre
mémorialiste ;
12° Eugène Barbier, né
le 18 septembre 1784, que nous verrons
fréquemment près de sa sœur Louise ;
13° Joseph Barbier, né
le 17 mars 1786.
La naissance de ce treizième
enfant coûta la vie à sa mère, Renée Auvinet. Elle fut enterrée au grand
cimetière de Saint-Pierre, c'est-à-dire sur la place actuelle, le 20 mars 1786.
En 1788, deux ans après, Louis Barbier, le père, se remariait
avec Marie Breault qui dut se charger de toute cette nombreuse famille. Le 30 juillet 1789, une petite fille, Marie, venait
au monde, et le 4 janvier 1790, Louis
Barbier succombait à son tour et était inhumé au grand cimetière.
En ces temps troublés, les
habitués de l'auberge, que continuait à diriger la belle-mère de tous ces
enfants, discutaient fortement. Louis Barbier passait pour avoir été plutôt «
dans le mouvement ». Il semble bien qu'il ne fut qu'un élément de la majorité
des habitants de Cholet, et aussi de tout notre pays. Enthousiaste d'abord dans
l'espoir des réformes qui devaient soulager le pauvre peuple, il osa se ranger
parmi les « Patriotes ». Son frère, Claude Barbier, commanda une compagnie de
la Garde Nationale. Son fils Pierre obéit à la conscription et partit
militaire.
Mais les bienfaits de la
Révolution tardant à apparaître, on s'aigrit et on accuse de l'insuccès le
mauvais vouloir des partisans de l'ancien état de choses et même la négligence
des modérés. A l'auberge de la Tête Noire, les filles même bavardent et
s'exaltent. L'aînée, Renée, au moment de son mariage à dix-huit ans, passe pour
être une parfaite « démocrate ».
Peut-être lorsqu'il fit plus
tard cette réflexion à sa jeune sœur, Louise, M. Boisnaud,'curé de
Saint-Pierre, n'avait-il pas parfaitement compris le caractère de ces gens, de
tous ces honnêtes gens, forme de franchise, d'indépendance et de fidélité.
Car, s'ils n'hésitèrent pas à
dire parfois crûment leur opinion, tous demeurèrent fidèles à leurs convictions
religieuses. Le lecteur jugera au cours du récit combien leurs croyances et
leurs pratiques étaient choses sacrées pour nos héros. Et M. Boisnaud lui-même
les inscrit en bonne place dans ses « Listes de ceux qui passaient pour
notoirement catholiques et que les Républicains emmenèrent à Nantes » à
l'évacuation de Cholet.
Pour nous, le récit laissé
par Louise Barbier et recueilli par son petit-fils, M. J. Chaillou, est le
document émanant directement de l'opinion moyenne et saine du pays. Il exprime
sincèrement les transes et les misères de toute une population. Sa publication
présente un réel intérêt dans la recherche de la vérité.
***********
AUX DÉBUTS DE LA
RÉVOLUTION
Espoirs et
Désillusions
Les premiers souvenirs, que
mentionne Louise Barbier, datent de sa « tendre enfance ». Née le 22 mai 1783, elle n'avait, en effet, que six
ans et deux mois lorsque, une semaine après la prise de la Bastille, le 22 juillet 1789, le jour de la Magdeleine,
éclata dans toute la France un mouvement de terreur, panique dont les origines
sont encore demeurées obscures.
Son récit débute très
brièvement ainsi :
« J'avais cinq ou six ans, à
la Madeleine ; mais dans les brumes de mes souvenirs, cependant, je me rappelle
qu'on eut bien peur. On nous disait que les Anglais arrivaient et allaient tout
mettre à feu et à sang. »
La nuit, pendant laquelle se
répandit cette invraisemblable nou-velle, s'appelle encore en Vendée la nuit
de la Peur. Rien d'étonnant à ce que cet
événement demeurât gravé dans la mémoire d'une enfant de six ans. Il avait de même
impressionné fortement un garçonnet de deux ans plus âgé que notre
mémorialiste, Marin-Jacques Boutillier de Saint-André, qui nous décrit ainsi
cette nuit mémorable dans une cité voisine de la nôtre, à Mortagne :
« Il était neuf heures du
soir... et nos voix furent interrompues par un grand coup que l'on frappa dans
le contrevent. Il faisait un grand orage et nous crûmes que la foudre venait
d'éclater, Les coups redoublèrent. Surpris de ce bruit imprévu, les domestiques
ouvrirent avec précaution. C'était Champagne, le palefrenier de mon oncle de la
Chèze, que son maître envoyait de Roussay nous prévenir de l'arrivée des
Anglais.
« Cette absurde nouvelle fut
bientôt répandue dans toute la ville. Chacun y crût. On sonna le tocsin et tous
les hommes s'armèrent, les uns de fusils, les autres de piques, de fourches, de
faulx. On illumina toutes les fenêtres. Nous ne nous couchâmes point et nous
attendîmes avec une grande anxiété la revenue du jour.
« Mon père était alors maire
(de Mortagne) et reçut, sur les minuit, deux députés de Cholet qui venaient
demander des secours. J'étais présent à leur réception et j'entendis mon père
leur répondre que Mortagne n'avait point assez de forces pour secourir Cholet
et que le peu d'hommes dont il pouvait disposer resteraient dans leurs foyers
pour les défendre.
« Ces députés étaient armés
jusque dans les dents {sic). Ils portaient déjà des cocardes tricolores ; ils
faisaient de grands gestes, soutenaient que les Anglais arrivaient, qu'ils n'étaient
plus qu'à quelques lieues de Cholet, et assuraient très positivement qu'ils
massacraient sans pitié les hommes, les femmes et les enfants. Je tremblais de
toutes mes forces ; je me croyais déjà mort. Il me vint dans l'idée que ces messieurs
étaient peut-être des Anglais eux-mêmes et je m'en fus me cacher ...
« Cependant, on fit des
patrouilles, on boucla les portes de la ville, on garda tous les passages... Le
jour reparut. Mon père revint. Chacun rentra chez soi bien rassuré. On eut
honte de s'être laissé effrayer par une fausse nouvelle... » (1).
Nous avons cru devoir
compléter, par ce vivant récit, l'indication trop sommaire fournie par Louise
Barbier sur cet important événement qui marqua dans nos contrées le début de
la Révolution, et laissa une trace ineffaçable dans les esprits.
Pour les années qui
suivirent, l'âge de notre mémorialiste ne lui permit pas d'enregistrer d'autres
impressions que celles marquées dans sa mémoire par les conversations bruyantes
ou par les discussions entendues dans la grande salle de l'auberge paternelle.
(1) Mémoires d'un père à ses enfants. Une
famille vendéenne pendant la Grand' Guerre (1793-1795), par M. Boutillier de
Saint-André, publié par l'Abbé Eug. Bossard. Paris, Pion et Nourrit,
1896, pages 30 à 35.
________
Quelques notes suivent
immédiatement, sur les autorités administratives, judiciaires ou religieuses
choletaises.
« C'était M. de Beauveau, le
seigneur de la Treille, qui dirigeait Cholet. Il était méchant, dur et barbare
; un jour il fit dévorer par ses chiens un pauvre qui avait passe le pont-levis
pour implorer la charité aux cuisines du château. (1).
« Les autres chefs étaient MM. Boutillier de
Saint-André (2),
Savary (3)
et Chouteau (4).
Les réunions avaient lieu aux Cordeliers, (aujourd’hui l'Hôpital).
« C'était M. Boisnaud, qui était curé de
Saint-Pierre. Il avait succédé à M, David, qui m'avait baptisée.
« N'ayant pas voulu prêter
serment à la Constitution, ni abandonner
ses paroissiens, il était obligé de se cacher.
Il disait la messe, la nuit,
dans les fermes, dans les forêts ou dans les champs de genêts, qui formaient
des fourrés impénétrables à d'autres qu'aux gars du pays. »
Louise Barbier commet ici une
double erreur. M. Boisnaud (1) ne succéda pas directement à M. David. Ce
dernier, curé de Saint-Pierre depuis octobre 1752, mourut le 24 mars 1774, et fut enterré auprès du grand
vitrail, au chevet de son église. M. Charlet fut nommé pour le remplacer. Il
exerça son ministère pendant environ quatre ans, de 1774
à 1778.
Ce court laps de temps paraît
n'avoir laissé aucune trace dans les souvenirs d'enfance de notre écrivain. Il
est vrai que ce fut sous le rectorat de M. David que, le 10 septembre 1769, eut lieu le mariage de ses
parents, Louis Barbier et Marie Auvinet, et que successivement furent baptisés cinq
de ses frères et sœurs aînés ...
De plus, M. David avait
laissé une réputation vénérée de saint prêtre ; renommée qu'était venu
accroître ce fait qu'à la suppression du très vieux cimetière entourant
l'église Saint-Pierre, en 1787, lorsqu'on exhuma les restes de ceux qui y
reposaient, le corps de M. David fut retrouvé parfaitement conservé et intact.
La population crut au miracle et vit dans ce phénomène une preuve manifeste de
la sainteté de son ancien pasteur.
Il serait étonnant qu'une
enfant de huit à dix ans puisse, dans la sincérité de son récit, rapporter
autre chose que des faits, quelquefois déformés dans leur interprétation.
Dans les lignes suivantes,
Louise Barbier constate simplement, en quelques mots, l'aversion que nos populations montrèrent pour les
prêtres qui adhérèrent A la Constitution Civile du Clergé et acceptèrent de
prêter le serment :
« Il n'y avait à Cholet qu'un
prêtre assermenté, qui se nommait M. de Crolles (1) ; mais personne ne voulait aller
à sa messe. Il ne trouvait pas même d'enfants de chœur pour lui répondre. »
Ces lignes indiquent une des
causes principales de la révolte des esprits, dans nos contrées : les innovations
religieuses qu'incriminent également les témoignages contemporains, — que nous
tenons à citer ici, — de partisans notoires de la Révolution et d'un des chefs
insurgés les plus illustres.
En effet, le Secrétaire
général de la Préfecture de la Vendée, ancien prêtre constitutionnel ayant
adhéré au nouvel ordre des choses et prêté le serment réprouvé des Vendéens, Cavoleau;
écrit en 1800 :
« En 1790, l'Assemblée
Nationale obligea les prêtres catholiques à un serment qui a fait plus de mal à
la France que les échafauds de Robespierre et les armées de l'Europe coalisées
contre elle » (2).
Le Général Klébër, le
vainqueur de Cholet, écrit dans ses Mémoires :
« On pourrait, ce me semble,
hasarder la proposition que sans la loi concernant la constitution civile du
clergé, la France aurait pu être agitée de quelques troubles, mais qu'elle
n'eut pas vu alors de guerre civile. « Rendez-nous nos bons prêtres et nous
vous abandonnons le Roi. Nous vous livrons nos seigneurs », disaient
les Vendéens lorsque, très souvent las de combattre et rassasiés de carnage
(?), ils regrettaient leurs travaux
champêtres et soupiraient après leurs paisibles chaumières. Ce fait était alors
connu de toute l'armée, et il n'est pas un soldat qui ne les ait entendu
s'exprimer ainsi. »
(1) Gabriel de Crolles était le frère ou
le neveu du régisseur du Château de Cholet, il était précédemment vicaire de
Vitry-sur-Seine. Il fut nommé par l'Assemblée électorale du District de Cholet,
le 17 avril 1791, à la cure de Notre-Dame.
Pour remplacer M. Boîsnaud, à
Saint-Pierre, les électeurs désignèrent un certain M. Durand, prêtre
assermenté, qui ne demeura que très peu de temps à Cholet.
(2) Cavoleau. Statistique du Département
de la Vendée, p. 817.
________
Enfin, voici la réponse de
d'Elbée, principal généralissime des armées vendéennes à la Commission
militaire de Noirmoutier, réponse recueillie par Piet, secrétaire de cette
Commission :
« Je jure sur mon
honneur que malgré que je désirasse sincèrement et vraiment le gouvernement
monarchique, réduit à ses vrais principes et à sa juste autorité, je n'avais aucun
projet particulier et j'aurais vécu en citoyen paisible, sous quelque gouvernement
que ce fut, pouryu qu'il ait assuré ma tranquillité et le libre exercice, au
moins toléré, du culte religieux que j'ai toujours professé. ».
Dès 1791, on se hâta de
remplacer les prêtres qui, par scrupule, ne consentirent point à prêter le
serment. « Mais, ajoute Kléber, les circonstances ne permirent pas alors d'apporter
grande sévérité dans l'examen des concurrents, et on dut prendre presque
indistinctement tous ceux qui voulurent bien se présenter. »
« Le patriotisme, sur lequel
il était si facile de se méprendre et auquel on attacha souvent des idées si
bizares, tenait lieu aux nouveaux venus de toutes les vertus et ils croyaient
en donner une preuve suffisante en prêtant le serment auquel leurs
prédécesseurs venaient de se refuser.
« On vit donc s'emparer des
presbytères abandonnés ou des moines qu'un dépit, l'irréflexion de la jeunesse
et souvent la contrainte plutôt qu'une pieuse vocation avaient jetés dans les
monastères et qui, se consumant depuis longtemps en regrets, passèrent tout à
coup de cette gêne violente à la licence la plus effrénée, ou bien de ces ecclésiastique
qui, n'ayant pas su sauver assez les apparences d'une conduite déréglée,
s'étaient vus écarter des emplois de l'Eglise, et végétaient dans une
crapuleuse indigence... »
« De tels hommes étaient bien
peu propres à remplir leurs fonctions avec cet esprit de paix et de
conciliation qu'il eût été nécessaire d'apporter dans les commîmes pour calmer
les ferments déjà sur le point d'éclater...
« Enfin, lorsque la plupart
de ces nouveaux curés, autant par leurs turpitudes que par l'instigation de
leurs antagonistes, parvinrent à s'attirer la haine des communes, au point de
ne pouvoir paraître en public sans être conspués, ils cherchèrent et trouvèrent
un appui dans les sociétés populaires..., et les autorités constituées,
toujours influencées par ces sociétés, se hâtèrent de mettre sous l'égide de la
force armée ces nouveaux fonctionnaires ecclésiastiques.
« Dans tout le royaume, la
Garde Nationale fut presqu’exclusivement employée à la défense des
presbytères. Mais, ces soldats de la Liberté, destinés à être les soutiens impos-sibles
de la Loi qui protège..., devinrent facilement des instruments de vengeance. De
là, ces persécutions partielles et arbitraires, dont les prêtres insermentés ne
furent pas les seules victimes, et qui offrirent si souvent des scènes à 1a fois
sanglantes et ridicules ; mais la persécution, dans cette circonstance, eut le résultat qu'elle obtint dans tous les temps. Les
persécutés devinrent plus chers à la multitude.
Dans leur rapport du 8 octobre 1791, les deux commissaires civils,
MM. Gallois et Gensonné, envoyés dans les départements de la Vendée et des
Deux-Sèvres, à la fin d'août, affirment également l'influence néfaste du
serment exigé à la Constitution civile du clergé, et notent la séparation des
esprits qui en fut rapidement la conséquence :
« L'époque de la prestation
du serment ecclésiastique a été, pour le département de la Vendée, la première
époque de ces troubles. Jusqu'alors, le peuple y avait joui de la plus grande
tranquillité. Disposé, par son caractère naturel, à l'amour de la paix, au sentiment
de l'ordre, au respect de la Loi, il recueillait les bienfaits de la Révolution
sans en éprouver les orages...
* ... Cette division des
prêtres en assermentés et non assermentés a établi une véritable scission dans
le peuple de leurs paroisses. Les familles y sont divisées... Les municipalités
se sont désorganisées ; et un grand nombre d'entre elles pour ne pas concourir
au déplacement des curés non assermentés. »
Le marquis de Beauveau, procureur
général syndic du District de Cholet, écrit, le 23
avril 1791, au Directoire du département de Maine-et-Loire : « ...
En voilà deux (démissions) que je viens de recevoir... »
« ... Tous ne le feront pas
dans la même forme » (démissionner), fait connaître de son côté le président du
Directoire du District de Cholet, M. Chouteau, le 3
mai 1791,
" mais
tous le feront sous peu. Si Ton ne trouve quelque moyen d'arrêter cette
contagion, il n'y aura plus de municipalités. "
Et Gallois et Gensonné notent
dans leur rapport : « Un grand nombre de citoyens a renoncé au service de la
Garde Nationale, et celui qui reste ne pourrait être employé sans danger, dans
tous les mouvements qui auraient pour principe et pour objet des actes
concernant la Religion ; parce que le peuple verrait alors dans les uartfes
Nationales, non les instruments impassibles de la Loi, mais les agents d'un parti
contraire au sien. »
Le mépris des prêtres
assermentés, des « intrus », le regret des anciens pasteurs, la haine ,des Gardes Nationaux et de leurs brimades
continuelles, se doublaient d'un malaise général et d'une inquiétude
croissante. Le mécontentement était partout et lentement la révolte s'insinuait dans les
cœurs :
« On disait que la guerre
allait éclater.
« On faisait des rassemblements
sur les places et chez mon père, qui était aubergiste, et qui était exalté dans
ses opinions antiroyalistes.
« Dans la grande salle de
l'auberge, se rassemblaient beaucoup de connaissances ou d'amis pour discuter
de la politique. Trop jeune, je n'y comprenais rien. Je me souviens qu'on me
disait des gentillesses qui me flattaient beaucoup.
« Mon père mourut dans ces
temps-là, (1)
« Ma belle-mère pleurait et
nous dit que, désormais, elle ne pourrait se charger d'une aussi nombreuse
famille ; car nous étions dix encore à la maison paternelle.
Nos oncles et tuteurs vinrent
faire l'inventaire. Je vis un tas de beaux écus que l'on cacha pour les mettre
en sûreté.
(1)
Le 4 janvier 1790. Veuf, le 26 mars 1786, de Renée Auvinet, dont il avait eu
quatorze enfants, Louis Barbier s'était remarié en 1788
avec Marie Bréault. Le 30 juillet 1789 naquit
une petite fille, Marie, qui fut massacrée en 1794.
________
Cette petite fortune ne
reparut jamais, car nous ne la retrouvâmes plus après la Révolution. » (1).
La famille Barbier n'était
pas seule alors à éprouver les ennuis d'un situation
économique précaire. Depuis des années déjà, la « crise » allait en
s'accentuant.
« L'hiver de 1788 a passé terrible », écrit M. C. Port, d'après
les documents des Archives départementales
« Celui de 1789 s'annonçait désastreux par de longues
pluies qui arrêtent tout le travail des champs. Mais enfin, la récolte rentrée
était excellente et pourtant le prix des grains ne cesse de s'accroître... Dans
les campagnes, en particulier dans les Mauges, la détresse devenait extrême et
les marchés restaient vides, en plus d'un endroit interceptés
maladroitement par les affamés. »
« Tous les bourgs menacent
les gens les plus aisés de venir prendre leur subsistance chez eux »... écrit
le District de Beaupréau.
« Le maire du May, Tharreau,
voit gronder autour de lui et dénonce une insurrection prochaine. « Autant vaut
mourir d'un coup de fusil que de faim », disent ses
paysans.
« A Trémentines, l'exaspération
est au comble. Toute une population d'ouvriers erre en plein chômage autour des
maisons des fabricants, des marchands aisés qu'a épuisés la crise. « Nous
sommes à la veille d'une insurrection dans ce bourg... » écrit
Rousseau, curé et maire(5).
Dès le 9 mai 1790, un convoi de blé avait été mis au
pillage sur les landes de Bégrolles. A Chemillé, vers la fin d'août, un poteau
fut dressé devant les halles pour terrifier les accapareurs... La panique gagne
les villes. Dès l'ouverture des marchés, tout s'y trouvait acheté par des
inconnus... Un nouvel hiver approchait apportant des menaces nouvelles.
(1) Louise Barbier ajoute ici à ses
mémoires : L'oncle Blain, nommé tuteur général, ne nous rendit aucun compte. Au
retour de l'exil, il nous dit que l'argent avait disparu. C'était-il vrai ?
(sic). Dieu le
punit. ïl mourut dévoré par la vermine dans un taudis
sur la route de la Tessoualle.
________
Ainsi, froissées dans leurs
convictions religieuses, soumises à de perpétuelles vexations, nos' populations
se trouvaient atteintes encore dans leurs intérêts matériels.
« La première.et la plus
pénible des désillusions après tant d'espérances », écrit justement M. C. Port,
« Se trahit sur la question la plus sensible et la plus irritante, celle des
impôts là où, tout d'abord, le populaire avait pu crier cause gagnée. »
« Dès le lundi 20 juillet 1789, les nouveaux pouvoirs publics
avaient mis la main sur toutes les caisses des Recettes Royales, Tailles,
Tabacs, Aides, Contrôle, et le peuple se chargeait d'incendier les barrières et
de supprimer les octrois... »
« Mais le décret du 23 septembre, qui n'ordonnait la suppression
de la Gabelle (si détestée, l'effroi de tous), qu'après son remplacement assuré
par les Assemblées Provinciales, prétendait en somme remettre sur pied, ne
fut-ce que pour un temps, tout le régime abhorré. L'annonce seule de cette entreprise
« réveilla dans tous les cœurs te sentiment de la révolte et de l'insur-rection
», et tous les citoyens se proclamèrent hautement résolus à repousser la force
par la force et « a mourir plutôt que de se soumettre à ce joug odieux. » (1).
De plus, la répartition des
contributions directes de 1790 devait
prendre pour base la Taille de l'année précédente.
« Or, nulle part lé scandale
ne s'affichait plus audacieux que dans l'élection de Montreuil-Bellay » qui
comprenait le futur pays insurgé de la Vendée angevine.
« Ici l'impôt rayonnait en
s'accroissant pour se concentrer sur ses extrémités, — au point qu'on calculait
sans conteste la distance du chef-lieu à l'intensité proportionnelle des taxes
dont les paroisses étaient frappées... Des 56 paroisses de l'Election, les six
à l'entour de Cholet supportaient à elles seules plus du tiers de l'imposition
totale, le double, même les trois quarts de plus que certains cantons de. l'Anjou. » (2).
(1)
Assemblée générale de la Province d'Anjou. Angers, Paris, in-8" de- 27
pages. Le procès-verbal original porte parmi les signatures celle de Bonchamps.
(2) Archives Départementales de
Maine-et-Loire. B. Cahier de Roussay. — C. 197. Lettres du District de Cholet
du 26 février et du 2 avril 1790.
________
« ... En vain la Commission
intermédiaire s'épuisait-elle à rappeler que Terreur était involontaire ;
qu'elle serait rachetée sur les rôles de 1791
et compensée dès cette année même par des gratifications... Comme si l'on
pouvait faire croire aux campagnes que l'argent revienne
jamais du fisc (1), et que les rôles, — on le voyait trop, — n'eussent toutes
chances d'être à demeure ! »
Les rôles de 1791 ne rachetèrent rien, naturellement ; pas
plus que ceux de 1792 ; si bien qu'au
cours de cette dernière année, l'Administration, impuissante à faire face aux
dépenses immenses de la guerre engagée, heurtait « son droit inexorable à la
faute impardonnable qui depuis trois années pesait sur les Mauges, l'iniquité
de l'impôt ».
« La guerre est déclarée, la
guerre exige des contributions solidement établies et régulièrement acquittées
» écrivait le ministre, dès le 6 mai 1792.
Et à toute plainte : « Payez d'abord », répondait-il.
« Mais une opposition
absolue, raisonnée, s'annonçait, hautement décidée à ne pas subir deux fois les
exigeances illégales, que réclamaient, à contre-cœur les agents du fisc et que
dénonçait à grands cris la conscience publique...
L'évidence attestait une
disproportion entre la masse des contributions et la matière imposable de plus
de 1.200.000 livres... Le District de Cholet, à lui seul, d'après les décla-rations
des Municipalités, accusait une surcharge du foncier de 208.855 livres. »
c
Partant de cette certitude, chaque contribuable a fait son compte et réglé en
conscience son versement... à peu près les. deux tiers
de la contribution foncière... Pour le mobilier, la taxe en était si excessive
qu'on n'avait pu en percevoir encore qu'un cinquième. « Il est impossible que là
Convention laisse subsister une proportion aussi déraisonnable », écrit le
Procureur Syndic de Cholet. » (2).
« Mais à toutes réclamations,
nulle réponse n'était venue pendant deux ans, et quand aux derniers jours de 1792, le Ministre, après avoir consulté
l'Assemblée et les Comités, donne signe de vie, c'est pour justifier son refus
sur des défauts de formalités strictes qu'il n'était même plus temps,
légalement et par sa faute, de remplir. »
(1) Id. Lettre du May, février 1790.
(2) Archives Départementales de
Maine-et-Loire. — Lettre du 8 novembre 1792.
________
« Le Directoire du
département, en dépit de cause, a tâché pied. Le District de Cholet, qui est le
plus iniquement éprouvé « par ce fléau », avait pris les devant quand même et
parlaitde si aigre façon qu'une première fois, il fallut lui renvoyer sa
réclamation comme indigne.
Après des plaintes sans fin,
les publications d'adresses et de mémoires sans résultats, l'envoi même au
département du Procureur-Syndic, en mission spéciale, l'exaspération y est
devenu telle qu'elle s'élève presque à la rébellion. » (1).
« Ceci accrut la gêne universelle », écrit M.
Henry Jagot dans son étude très approfondie et très sérieuse, des origines de
l'Insurrection (2), « doublée par une extension formidable du vagabondage et de
la mendicité. Les gabelous réduits à la famine par la suppression de la
Gabelle, leurs ennemis, les faux-saulniers tombés dans l'inaction, couraient
les champs par bandes nombreuses se livrant à des pillages, à des brigandages
et à des assassinats. Il y eut une série de crimes du genre de ceux qui
devaient rendre plus tard si fameux les abominables chauffeurs, de telle sorte que
l'épouvante régnait dans toutes les paroisses.
« Eh bien ! durant cette période troublée, on ne signale pas un acte
d'opposition à la Révolution, pas une plainte contre l'Assemblée, pas un
mouvement de révolte contre la Loi... Rien ne permet de penser que ces paysans
sages et paisibles, qui supportent les maux présents avec résignation,
songeront un jour à prendre les armes pour rétablir un régime dont ils
réclamaient de force la destruction dans les premières semaines de l'année 1789.
« Les Vendéens souffrent dans
leurs intérêts, dans leurs biens, mais ils ne s'en prennent à personne de la
rigueur de la température et de la disette amenée par les mauvaises récoltes.
Ils se consolent de ces peines passagères avec leur Religion. Et il en sera
ainsi tant qu'on ne touchera ni à leurs curés ni à leurs églises. »
La loi proclame la liberté
des cultes. Cette liberté existe à Paris ; elle est aussi maintenue dans
plusieurs départements.
(1) Archives .de Maine-et-Loire. Adresse
du 5. Janvier 1793 ci-
tée par C. Port, La
Vendée Angevine, t. II, p. 48.
(2) Henry Jagot. Les origines de la
Guerre de Yendée. Paris
H. Champion, 1914, p. 58.
________
Mais c'est en vain que les
paysans des Mauges et de la Vendée, c'est en vain que le clergé dépossédé la revendiquent (1). Le mouvement non conformiste, appuyé sur
la loi elle-même, est assimilé à une forme de rébellion.
Le pays tout entier est voué
à la terreur. Les gendarmes et les gardes nationaux, guidés par des « patriotes
» de bonne volonté et même par des prêtres constitutionnels, courrent les
chemins, s'imaginant étouffer sous la contrainte et la terreur la révolte des
consciences.
Un arrêté du 1er février 1792 obligeait tous les prêtres non
assermentés, sans exception, à se rendre au chef-lieu du département, dans la
huitaine, et à y prendre leur résidence sous la surveillance de la police.
Cette surveillance se transforme bientôt en un véritable emprisonnement
agrémenté de toutes sortes de vexations dont la réalité est impossible à mettre
en doute, à la lecture de la lettre du Ministre de l'Intérieur, Roland,
adressée le 24 août 1792 aux Administrateurs
d'Angers.
« On me marque, Messieurs,
que les prêtres qui sont enfermés, depuis deux mois, aux deux Séminaires, y
éprouvent toutes sortes de vexations de la part de la garde nationale de cette
ville, qu'ils viennent d'être mis pendant six jours de suite, sur la paille, au
pain et à l'eau et que plus de la moitié de ces prêtres sont âgés de soixante à
quatre-vingts ans et infirmes. Vous sentez, Messieurs, que si les circonstances
difficiles dans lesquelles nous nous trouvons, peuvent excuser des mesures
extraordinaires contre des citoyens prévenus d'animosité envers la Révolution,
la justice et l'humanité exigent du moins que ces mesures
ne soient pas aggravées par aucun acte particulier de persécution et de
barbarie. »
En fait, dès avant la fin de 1792, il n'y eut plus de liberté individuelle
dans les départements de l'Ouest. Les divers arrêtés des autorités permettaient
aux gardes nationaux de pénétrer chez les particuliers, sur le moindre soupçon,
en brisant au besoin les portes et les fenêtres, en faisant sauter les
serrures, et de fouiller partout, sans avoir à justifier leur conduite.
« Les patriotes, lâchés dans
les campagnes comme une meute de chiens enragés, se livrèrent aux pires excès,
insultant les femmes, frappant les hommes, semant la terreur sur leur passage,
agissant chez leurs compatriotes comme en pays conquis et manifestant une joie
sauvage, quand ils avaient pu s'emparer d'un malheureux prêtre, découvert au fond
d'une grange, sous un pressoir, derrière la roue d'un moulin, caché sous des
bottes de paille, ou surpris dans les genêts ou les bois... »
(1) Cf. la lettre éloquente du curé non
assermenté de Notre-
Dame de Cholet, M. Rabin.
________
« Ces tristes scènes se renouvelaient dans
toute la Vendée et si les campagnards hésitaient encore à prendre les armes pour
défendre les victimes, du moins commençaient-ils à éprouver une haine profonde
pour les tyrans » (1).
Contre les gardes nationaux
détestés, l'accord était unanime et les paysans, jadis doux et paisibles, ne
songeaient plus qu'à la vengeance devant leurs maisons envahies et leurs femmes
insultées.
II n'était pas besoin d'une
conspiration pour les entraîner à la révolte. Le premier incident venu devait leur
mettre les armes à la main.
Cette immense inquiétude des
esprits, aggravée par la déclaration de guerre et bientôt par la proclamation
de « la Patrie en danger », eut pour conséquence nécessaire, alors comme à
toute autre époque, le ralentissement des échanges commerciaux et pour l'artisan
et l'ouvrier le manque de travail, ce que nous appelons aujourd'hui «.le
chômage ».
Et voici que retentissent des
appels aux armes, des demandes de volontaires. C'est ce que note Louise Barbier
:
« Les ouvriers ne faisaient
plus rien.
« Pendant quelques temps, ou
voulut faire partir tous les jeunes gens pour défendre la frontière. Ceux de la
ville ne demandaient pas mieux ; mais ceux des champs ne voulurent pas obéir à
cet ordre. »
Il est notoire qu'avant la
Révolution, il eût été extrêmement difficile d'entrainer aux armées la jeunesse
vendéenne, rebelle à l'appel de la milice.
Ces sentiments s'étaient
manifestés avec vivacité lors de la rédaction des cahiers de 1789. A en juger par les plaintes exprimées,
on pourrait croire que le service de là milice était une chose épouvantable ou
pour le moins aussi gênante que notre service militaire actuel. II n'en était
rien.
« Il ne se levait que peu
d'hommes pour la milice. Le gouvernement se contentait d'un sur quarante et
même cinquante... Maïs quand un homme tombait au sort, il se mettait à pleurer,
s'arrachait les cheveux et donnait des marques du plus violent désespoir. Et
pourtant de quoi s'agissait-il alors ? D'aller à Rochefort ou à La Rochelle
faire l’exercice pendant quelques mois au bout duquel temps le milicien était
renvoyé chez lui. Les engagements volontaires suffisaient alors pour alimenter
l'armée. » (1).
Si ce faible service causait
tant d'émoi dans la Vendée, on peut s'imaginer sans peine la consternation que
devait y déterminer l'appel de mars 1793. Si même tout avait été calme et
parfait dans ces campagnes, il est probable que les opérations du tirage ne se
seraient pas faites sans de violentes bagarres et des refus de tirer au sort.
De nombreux réfractaires se seraient réfugiés dans les bois et sur les landes,
mais il n'y aurait pas eu de révolte ouverte.
Il ne faut pas accuser le
courage de ces jeunes gens. Leurs engagements dans les bataillons de Volontaires
de la Révolution ne furent pas moins nombreux pour nos pays que pour le reste
du département. Sur 577 inscrits au premier bataillon de Maine-et-Loire, Cholet
compte trente noms et les campagnes environnantes trente-trois. On a vu, par la
suite, que nos jeunes compatriotes étaient capables « de se battre comme des
lions, de se conduire comme des héros, d'affronter la mort avec gaieté ». Dans
ses Mémoires, parlant des Vendéens, Napoléon a rendu justice à leur vaillance,
principalement à l'époque de l'invasion, en 1814.
«c
Mais sans parti-pris et en toute équité, on peut se demander ce que ces paysans
devaient à l'ensemble de la nation quand on vint les chercher pour les envoyer
aux frontières. Depuis 1789, non
seulement rien n'avait été fait matériellement en faveur de nos malheureuses
campagnes, mais leur situation était devenue plus misérable encore, soit par
les mauvaises récoltes, les pillages des vagabonds et des brigands, la
fréquence des inondations, l'augmentation des impôts, etc..
« Les misères du corps
étaient dépassées de mille coudées par celles de l'âme. Il y avait de la
tristesse, de l'indignation et de la haine dans chacune des pauvres maisons de
ce pays. On pleurait au coin de tous les foyers et c'était avec une poignante
douleur que ces humbles chrétiens contemplaient leurs églises souillées et
fermées, et leurs clochers désormais silencieux. » .
Et c'était le moment où leurs
persécuteurs, menacés par les dangers extérieurs, voulaient contraindre nos
compatriotes à marcher, — à leur place d'ailleurs et pour eux, au secours de
cette Révolution, à laquelle ils ne devaient que des humiliations et des
blessures. Vraiment, c'était trop exiger de la nature
humaine. L'appel au tirage fut l'appel à l'insurrection.
Un courrier extraordinaire
apporta à Angers, dans la nuit du 1" au 2
mars, le triple décret-loi qui fut lu, le 2 au matin, à la séance du
Directoire. Le jour même, il était connu dans le département tout entier.
« La milice ! Le tirage !
Partir soldat ! Soldat de ligne ! On n'a
pas l'idée aujourd'hui de ce que représentait en ce temps-la pour les paysans,
au-dessous même de la milice, l'armée ! »
« Mœurs et discipline de
galère ! Rebut des villes, des bouges, des prisons ! Autant valait rétablir la
gabelle ! On n'eut pas fait pis.
« Ce fut un soulèvement
d'horreur !» .
(1) BouTiLLiER de Saint-André. Mémoires
d'un père a ses enfants, p. 83. - ________
L'INSURRECTION
VICTORIEUSE
LE 3
MARS 1793.
•
La nouvelle de la levée
extraordinaire de 300.000 hommes arriva à Cholet en plein marché.
Le lendemain, 3 mars, était un dimanche. Les garçons de la
ville, au nombre de cinq à six cents, se réunirent chez un aubergiste. Un seul
cri se fit entendre : « Il ne faut pas tirer ! On ne tirera pas ! Aux habits
bleus de partir ! »
« Les uns voulaient que les
patriotes seuls partissent ; d'autres que ce fussent seulement ceux qui
composent la compagnie des grenadiers et celles canonniers. Les plus modérés
voulaient qu'on empêchât les Messieurs de se faire remplacer, si le sort leur
tombait, mais presque tous ont décidé qu'il ne fallait pas tirer et qu'on ne
tirerait pas. ».
Les têtes s'échauffaient. Une
rencontre eut bientôt lieu avec une patrouille de cinq hommes.
« Je me souviens que la
première fois qu'il y eut une émeute on tua un des chefs des gardes nationaux, M.
Combault, sur la place près de l'église Notre-Dame, qui portait le nom de place
du Prieuré.
« On lui coupa la jambe avec son sabre. »
Les souvenirs de Louise
Barbier sont ici confus. M. Combault, capitaine des Grenadiers, ne fut pas tué,
mais très grièvement blessé d'un coup de poignard entre les deux épaules. Ce
fut le commandant de la Garde Nationale, Poché-Durocher, qui fut désarmé,
renversé et qui eut le gras de la jambe sectionné d'un coup de son propre sabre
(l).
Trois des mutins furent tués
sur place, sept ou huit autres blessés dont quatre moururent à leur entrée à
l'hôpital.
Les autres prirent la
direction de Bégrolles et du May..
« Depuis cette malheureuse
affaire, chacun avait peur. Il n'y eut plus de sécurité.
« On prenait les plus grandes
précautions. On fît venir des troupes d'Angers ; c'étaient des Dragons (2).
Comme on ne connaissait point ces soldats, qu'on en avait jamais vu, la crainte
rétablit la paix pendant quelque temps (3).
« La Municipalité afficha le
tirage pour le 12 mars 1793. Aussitôt
le tocsin sonna à Saint-Pierre et dans les petites paroisses des environs. Mon
oncle Brion, qui était fabricant au May, arriva en toute hâte, tremblant et
effrayé, en nous disant que tous les paysans prenaient des fourches et des
fusils et allaient arriver en révolte.
« Les patriotes voulaient les
désarmer ; mais la Garde Nationale n'était plus maître (sic) de rien, malgré
les efforts de M. de Beauveau qui faisait tout ce qu'il pouvait pour apaiser
les esprits affolés.
« Tout Cholet était rassemblé
sur la place du Château, où on avait planté l'arbre de la Liberté. Il y avait
deux canons qu'on avait été chercher au château de
Maulévrier. Tous les hommes furent appelés pour être de la Garde Nationale.
« Tout le monde avait peur.
Ceux qui avaient de l'argent le cachait dans les
champs, dans les puits, dans les caves.
« On disait que les ennemis
allaient, arriver, qu'à Saint-Florent, les jeunes gens s'étaient refusés à
tirer à là conscription, qu'il y avait eu bataille où les Républicains avaient
été battus.
(1) Id. Seconde lettre du District au
Département, le 4 mars 1793.
(2) Deux cent douze cavaliers du corps
des dragons devaient arriver le 5 mars au
soir sous la conduite du commandant Boisard. (Lettre du 5 mars, 8 heures du
matin.)
(3) « Le calme semble s'être rétabli de
lui-même, d'après le rapport de Desmaz.ières,,
commissaire du Département envoyé avec le corps des dragons. On espère voir le
recrutement s'opérer sans rixe. Déjà, il s'organise. » (11 mars 1793.)
________
C'était vrai.
« Tous les paysans se mirent
à suivre Cathelineau qui était à leur tête. C'était un roulier du
Pin-en-Mauges, qui venait tous les samedis à Cholet et que j'avais vu bien des
fois chez mon père. II était l'ami intime de mon oncle et de ma tante Brion, du
May, où il arrêtait toujours en venant ou s'en retournant de Cholet.
« L'armée des Chouans
s'organisait rapidement C'était tous des cultivateurs du pays et des gens de la
ville et des bourgs qui étaient du même parti.
« Chacun avait son bissac de
toile avec sa provision de pain noir et un morceau de lard fumé.
« Chaussés de sabots bourrés
de paille, qu'ils quittaient de temps en temps, pour mieux courir ; coiffés de
larges chapeaux de paille de leur fabrication ; de grands cheveux leur tombant
sur le cou, ils étaient armés de faulx, de fourches et de vieux fusils rouilles
; leurs chapelets enroulés à leurs bras, ils avaient des feuilles d'arbres à leurs
chapeaux pour se reconnaître.
« Quelques-uns de leurs chefs
étaient montés sur des petits che-vaux sans selle, ni bride, qu'un bout de
corde pour les con-duire. »
LA PRISE DE CHOLET
LE 14 MARS 1794.
« Après avoir pris Jallais et
Chemillé, le mercredi 13 mars, ils
arrivèrent sur les hauteurs de Cholet. C'était le (jeudi) 14 mars et se réunirent aux autres Chouans du
Bas-Pays, amenés par Stofflet, qui avait pris leur commandement. C'était un
garde-chasse de M. de Colbert, du château de Maulévrier.
« Tout Cholet avait grand
peur. Ma belle-mère nous fît monter dans une petite chambre à côté de la grande
chambre de l'auberge de mon père, du côté de la cour.
« On battait la générale.
C'était un matin, vers six heures, qu'on nous apprit que vingt mille chouans
arrivaient sur la route de Nuaillé et qu'ils allaient prendre Cholet. Alors la
Garde Nationale, M. de Beauveau en tête, les dragons, les volontaires armés de
piques, derrière le drapeau de la République, allèrent au-devant des Chouans
qui étaient aux Pagannes.
« Chacun voyait partir son
père, ses frères. Je me souviens que j'étais dans une chambre haute où la
domestique de mon père nous avait enfermés et que mon frère Eugène, mes sœurs
et moi nous voyions passer cette armée dans la rue Saint-Pierre.
« Les deux aînés de mes
frères, Louis et Pierre, étaient allés se joindre aux volontaires. En entendant
le canon de chez nous, nous pleurions, mes sœurs et moi, et nous priions le bon
Dieu qu'il nous les ramène.
« Les Chouans avaient entouré
l'armée républicaine ; sa déroute fut complète. On vit tous ces malheureux
revenir couverts de sang et de boue, leurs vêtements déchirés. Les femmes et
les enfants, qui étaient restés seuls dans la ville, rouvraient (sic) leurs
portes ou leurs fenêtres pour reconnaître leurs maris ou leurs enfants.
« On rentra chez nous bien
des blessés qu'on cacha dans une petite maison, chez David, qui était dans la cour
de notre auberge. La grande salle était remplie de gens qui étaient revenus
avec mes frères. C'était à qui raconterait les détails du combat.
« Pendant ce temps, les
chouans étaient à prier et à remercier Dieu de leur victoire au calvaire du
cimetière.
Ce fut le salut d'un grand
nombre d'habitants qui eurent le temps de gagner la ville et de se mettre en
lieu sûr.
« M. de Beauveau avait été
blessé devant le château du Bois-Grolleau. Resté sur le terrain, il fut porté
par les chouans auprès du calvaire (1) et abandonné en proie aux plus atroces
souffrances. Il y mourut la nuit suivante, demandant à boire de l'eau ; mais
les paysans, qui le détestaient, lui firent boire un verre de son sang.
(1)
Ce calvaire existe encore auprès de l'ancien cimetière de
Saint-Pierre. II domine la rue
Sadi-Carnot.
________
Il fut enterré dans le
nouveau cimetière de Saint-Pierre de Cholet (1).
« Les Chouans entrèrent à
Cholet, sur les quatre heures de l'après-midi, en frappant aux portes et en
brisant tout ce qui se trouvait sous leurs mains, et massacrant ceux que leurs
blessures avaient retardés dans leur fuite.
« Les uns entourèrent le
château ; les autres se répandirent dans la ville, en massacrant tout ce qui se
trouvait sous leurs coups. M. Lespinasse, chef de la Poste aux lettres, fut tué
dans son bureau. Les enfants de ma tante Blain furent assommés ; la pauvre mère
en mourut de chagrin quelques mois après. Les enfants de M. de Crolle, le
régisseur du seigneur de Cholet, le duc d'Havre, furent aussi tués. Les chouans
lui en voulaient parce que c'était lui qui avait fait remplacer M. Rabin, par
son frère, le prêtre constitutionnel. M. Briodeau, fut tué au Bretonnais, èn
sortant de chez Mme Dupin.
« Enfin les paysans, après
avoir sommé la petite armée du château de se rendre, ne recevant pas de réponse
que les coups de fusils qu'on leur tirait par les meurtrières de la petite
forteresse, fatigués de tant de résistance, mirent le feu au château. En un
moment la flamme s'éleva et entoura les malheureux qui défendaient la place.
Les Chouans leur criaient : « Rendez-vous !.. il ne vous sera fait aucun mal. Les chefs catholiques vous assurent
vie et sécurité... Si au contraire vous persistez, nous allons incendier la
ville entière... »
« C'était vers cinq heures du
soir. Tous ces malheureux, qui se voyaient perdus, furent obligés de se rendre.
Ils furent faits prisonniers, les mains attachés
derrière le dos ; on les conduisit sous les halles.
« Les Chouans essayèrent
d'arrêter l'incendie du château. La nuit fut horrible ; le tocsin sonnait ; les
habitants étaient remplis d'effroi. Les soldats de l'armée catholique s'étaient
logés partout ; notre maison en était remplie.
« C'étaient des paysans, des
prêtres déguisés, qui ne cherchaient à faire aucun mal. Acculés sur leurs
talons, ils mangeaient leurs morceaux de pain noir avec du lard bouilli qu'ils
tiraient de leurs bissacs, après avoir récité leur bénédicité.
« Le lendemain, 15 mars, le soleil en se levant éclaira un
triste tableau dont le souvenir me fait frémir d'horreur : toutes les rues,
particulièrement par chez nous (sic), étaient couvertes de cadavres que nous
cherchions à reconnaître par les fenêtres, car personne n'osait aller les
relever de peur de se compromettre et d'être tué.
Sur la route du Bois-Grolleau
jusqu'aux Pagannes, les morts étaient entassés les uns sur les autres.
« Cependant les Vendéens
s'étaient réunis le matin et parlaient de fusiller les malheureux prisonniers
qui étaient sous les halles. Ils vinrent à la mairie qui était presque en face
de chez nous (1). Ils y prirent toutes les archives et les papiers du District,
les portèrent sur la place du château et en firent un feu de joie. Ils firent aussi
sommation à tous les habitants qui avaient des armes chez eux de les porter au
château, sous peine de mort. »
(1) « Aujourd'hui, le n° 15 de la rue
Saint-Pierre »,. ajoute M.
Joseph Chaillou, en 1890. Il semble que ce soit l'immeuble existant encore
immédiatement au-dessus du beau portail de granit, l'immeuble dont la porte est
surmontée d'un arc plein cintre et s'ouvre sur un perron extérieur, débordant
sur le trottoir.
________
APRÈS LA VICTOIRE.
« Bien des nobles qui
s'étaient cachés arrivèrent se joindre à cette armée : Bonchamps (le 21 Mars, à Chalonnes), d'Elbée (le 19 Mars, à Chémillé), Henri de la Rochejacquelein
(le 14 Avril, à Cholet), Lescure (du
château de Clisson — Deux-Sèvres, — au début de
Mai après la prise de Bressuîre.)
« Le Jeudi-Saint arriva dans
ce mois-là (le 28 mars 1793). Il y
eut une procession. Les Chouans reportèrent à Bellefontaine une Vierge
miraculeuse qui avait été apportée à Cholet pour la cacher (1)
« Le jour de Pâques (le 31 Mars 1793), on alla au château chercher
les prisonnier pour les conduire à la grand'messe à Saint-Pierre. Tous étaient
des négociants de Cholet ; ils étaient couverts de boue, leurs vêtements déchirés.
Tout le monde pleurait à l'église.
« C'était M. Boisnaud qui disait
la messe ; il s'était caché pour ne pas avoir voulu prêter serment et venait de
reparaître.
« Après la messe, on
reconduisit les prisonniers au château, en descendant la rue Saint-Pierre entre
deux haies de paysans armés, avec des cocardes blanches à leurs chapeaux et un
superbe drapeau qu'avait donné ce jour-là Mme de la Rochejacquelein. »
Louise Barbier fait
certainement erreur ici sur le nom de la donatrice. Mme de la Rochejacquelein
était à cette époque Mme de Lescure et en surveillance au château de Clisson
avec son mari et son père, M. de Donnisseau. Henri de !a Rochejacquelein
n'avait pas encore rejoint les armées angevines et venait seulement d'être
informé du soulèvement par sa tante, Mlle de La Rochejacquelein, qui note dans
ses « Souvenirs sur ma famille » :
« Fête de Pâques. — Henry,
mon neveu et M. de la Cassaigne vinrent de Clisson à la Durbelière. »
(1) Il s'agit de la Vierge qui, de temps
immémorial, était en grande vénération dans une humble et étroite chapelle avec
toit en dos d'âne comme il en existe dans beaucoup de carrefours, à la lisière
d'un bois dépendant de l'abbaye de Bellefontaine.
Le 27 août 1791, sur l'ordre du
Département, des détachements de gendarmerie et de gardes nationaux des pays
voisins accompagnèrent le curé constitutionnel de Notre-Dame de Cholet, qui firent
enlever la Vierge et démolirent la chapelle. La statue fut amenée
processionnellement à Cholet.
________
LE COMBAT DU BOIS-GROLLEAU
(18-19
AVRIL 1793).
« Cependant les Vendéens
perdirent plusieurs batailles à Chemillé, à Saint-Florent. Les généraux
républicains arrivèrent jusqu'à Vczins. Pendant ce temps, les chefs vendéens
voulaient tuer leurs prisonniers qui étaient au château, mais ils eurent peur
en voyant arriver les secours de la République. »
Cet événement est également
rapporté dans le recueil de documents publiés par Savary, qui décrit le trouble
des troupes vendéennes et insiste sur les épreuves que subirent les prisonniers
de Cholet, le 10 avril, quand fut
connue l'avancée de Leigonyer sur Coron et Vezins.
« Vers le milieu de la nuit »
(du 10 au 11 avril), note Savary, «
d'Elbée, accompagné de plusieurs officiers vendéens, arrive à Cholet. On y
tient conseil ; il ne restait plus de munitions, l'armée était débandée, tout
semblait désespéré. Chacun dépose ses décorations ; on va jusqu'à faire courir
dans la ville le bruit de la mort de d'Elbée.
« Cette nouvelle effraie tout
le monde. D'Elbée part avec sa suite vers cinq heures du matin et s'enfuit à
Tiffauges. »
Les prisonniers du château,
voyant l'inquiétude de leurs gardiens, profitèrent du trouble pour tenter de
reprendre leur liberté et décidèrent de sortir de Cholet.
« Ces dispositions
concertées, j'entrai au Comité dont les membres étaient encore effrayés du
spectacle de la veille et de l'inuti-lité de leurs efforts. Je leur déclarai «
raconte Savary », au nom de tous les prisonniers, que nous allions pourvoir à
notre sûreté, en abandonnant nos foyers. Ils firent des vœux pour nous.
« La route de Vezins se trouva
bientôt couverte d'hommes, de femmes et d'enfants, fuyant une terre de
désolation. Quelques braves, armés de pistolets et de bâtons, formèrent
l'arrière-garde. On aperçut au loin, sur les derrières, quelques cavaliers
vendéens, et bientôt on vit paraître en avant une patrouille de cinq chasseurs
à cheval, commandée par le brave Duchatel. Dès lors, tout le monde se crut en
sûreté. » .
« Ce fut la première
émigration de Cholet, car chacun se sauvait en entendant dire que ces
Républicains allaient venir se battre avec les Chouans. C'était triste de voir
tout le monde se cacher, se sauver sans savoir où ils allaient (sic).
« Quarante mille hommes de
troupes républicaines entrèrent dans la ville, le 17
avril au soir (1).
« Comme la ville n'avait pas
d'éclairage public, ils ordonnèrent de mettre des chandelles aux fenêtres pour éclairer
les rues et le lendemain matin une bataille eut encore lieu au Bois-Grolieau où
Charette (2) fît incendier le château.
« Ce furent encore les
Vendéens qui remportèrent la bataille. C'est à ce combat que fut tué mon oncle
Brion (du May). Un coup de fusil l'atteignit dans les charmilles du parc. Il
laissait une jeune veuve et six enfants dont la plus jeune (la cousine Brejon),
avait dix-huit mois (3).
« Les Chouans revinrent encore
à Cholet. Ils allèrent élever un autel sur la place du château, autour duquel ils
remercièrent Dieu de leur victoire.
(1) L'exagération est ici manifeste. Les
troupes républicaines étaient loin d'être aussi nombreuses.
(2) Erreur de
nom. Charetle ne vint pas à Cholet à cette époque.
(3) Registres de M. Boisnaud, curé de
Saint-Pierre : à la date du 20 avril 1793
: « Sépultures de Louis Gaufreton. mort la veille. 32
ans, et de Pierre Brion, du May, 36 ans. >
________
« L'armée vendéenne entière
traversa Cholet. Le défilé dura six heures, une demi-journée, par la
grand'route de Vihiers à Mortagne, précédé de vingt-neuf tambours.
Chaque paroisse portait son
drapeau en tête
« Tout l'été les chouans
furent les maîtrës.
« Il y avait de temps en temps
des petites batailles où ils gagnaient toujours. »
L'EXPIATION
LA BATAILLE DE CHOLET
(17
OCTOBRE 1793).
« Au mois d'octobre, eut lieu
le fameux combat de la lande de la Papinière. C'est là que fut blessé Bonchamps
qu'on emporta sur un brancard jusqu'à Saint-Florent, où il mourut en arrivant
après avoir demandé : « Grâce aux prisonniers ! »
« Le combat dura six heures ;
jamais on ne vit tant de cadavres. Les Vendéens perdirent la bataille.
« Les Républicains et leurs
généraux, Kléber, Lechelle, Carrier, Merlin (1) rentrèrent à Cholet qui était
presque désert, car tout le monde s'était caché pendant le combat.
« Le lendemain matin, on
ordonna aux habitants d'aller relever les cadavres. J'étais enfant. Je courus avec
tout le monde. Ah ! mon Dieu ! que
c'était triste de voir, — et je vois comme si j'y étais encore, — le plateau de
Bégrolles où les cadavres étaient entassés dans des mares de sang, les blessés
qui criaient et demandaient secours et qu'on emportait sur des brancards de branches
(sic).
« Pendant ce temps, les
soldats entraient dans les maisons et prenaient tout ce qu'ils pouvaient
trouver.
Le général Kléber parcourait
la ville sur un beau cheval blanc, en tête de l'état-major, rassurant tout le
monde et punissant les soldats qui voulaient s'emparer de tout. »
(1) Kléber commandait l'armée dite « de
Mayence » envoyée en renfort à l'armée de l'Ouest pour combattre les Vendéens, après
la reddition de cette place.
Lechelle commandait nominativement
l'armée chargée de soumettre l'insurrection vendéenne. En réalité les ordres
étaient donnés par Kléber.
Carrier et Merlin (de Thîonville) étaient
deux conventionnels envoyés en mission auprès de l'armée et dans les
départements insurgés ; Carrier s'acquit quelques mois plus lard, à Nantes, une
abominable réputation.
________
Ainsi, Louise Barbier ne nous
donne sur la bataille de Cholet que les quelques détails, vécus et vivants, qui
frappèrent sa jeune imagination. Elle n'indique pas les combats qui eurent
lieu, l'avant-veille, entre La Tremblaye et Saint-Christophe. Elle note
seulement ce fait, unanimement rapporté par tous ceux qui vécurent ces tristes
journées, de l'abandon par nos concitoyens de leur ville et de leurs demeures,
à l'entrée des troupes républicaines.
Notre mémorialiste ne semble
pas avoir conservé souvenance de l'émigration vers la Loire, de la « tournée de
galerne », à laquelle elle n'assista pas, d'ailleurs : Le séjour des républi-cains
à Cholet, pendant les mois de novembre et de
décembre 1793, les recherches du premier Comité Révolutionnaire et
les arrestations qu'il fit opérer n'ont pas laissé de traces dans ses
souvenirs. Les terribles angoisses des premiers
mois de 1794, de l’« hiver rouge » et les douleurs de l'exil se sont
gravées si profondément dans sa mémoire, qu'aucune place n'y est demeurée
précise pour le cours moins mouvementée de la vie en cette fin d'année.
Pour y suppléer, nous avons
heureusement la relation d'une de ses sœurs. Victoire Barbier, de cinq ans plus
âgée que Louise, et qui fut entrainée dans la folle équipée d'outre-Loire.
LE PASSAGE DE LA LOIRE
(18
OCTOBRE 1793).
« Je fus recueillie par ma
tante Brion, qui habitait le May. Son mari était allé se joindre aux Vendéens,
laissant sa femme et ses six enfants. Il fut tué le 20
avril 1793, à la bataille du Bois-Grolleau, près de Cholet.
« Il y avait environ deux
mois que j'étais chez ma tante ; je l'aidais à soigner ses enfants dont la plus
jeune, qui fut la cousine Bréjeon, avait environ deux ans.
Comme j'étais forte, je lui
rendais quelques services, car elle était à peu près sans ressources, quoique
ayant des propriétés sur la place du May. Son argent était caché, et elle
vivait du produit de son jardin.
« C'était au mois d'octobre (1793), je me souviens. Tout à coup on
entendit battre la générale et sonner le tocsin.
On disait que les bleus
avaient battu les chouans à Cholet, que ce qui restait de la ville brûlait et
qu'ils poursuivaient les malheureux vaincus. Ma tante nous fit ramasser
quelques effets et nous suivîmes la foule des émigrés qui se dirigeaient sur
Saint-Florent pour y passer la Loire (1),
« Soldats, femmes, enfants, vieillards et
blessés, tous étaient pêle-mêle, fuyant le meurtre et l'incendie. Ils se sauvaient,
laissant leurs villages que brûlaient les républicains sur leur passage. On
n'entendait que des pleurs, des gémissements, des cris, et dans cette foule
confuse, chacun cherchait à retrouver ses parents, ses amis ou des appuis et
des défenseurs, car on ne savait pas quel sort on allait rencontrer sur l'autre
rive.
« Il fallait voir pourtant
comme chacun s'empressait pour y passer, comme si, au delà du fleuve, on avait
dû trouver la fin de tous ces maux.
« Une vingtaine de mauvaises
barques portaient successivement les fugitifs qui s'y entassaient. D'autres
cherchaient à traverser sur des chevaux ; tous suppliaient qu'on vînt les
chercher, en regardant derrière soi si l'ennemi n'arrivait pas. C'était navrant
de voir cette foule égarée avec cette terrible incertitude de l'avenir.
« L'armée vendéenne arriva,
amenant M. de Bonchamps qui avait été blessé près de Cholet, avec cinq mille
prisonniers républicains conduits par M. Cesbron(2), commandant de Cholet. A
chaque instant on en fusillait, malgré les supplications de M. de Bonchamps. Ce
dernier,
couché sur un matelas et mourant, criait :
« Grâce aux prisonniers !
» Il fut enterré sur les bords de la Loire.
(1) « La tante Brion ondoya un enfant de
Mme de la Bouere venu au monde dans un champ de genêts, près Saint-Florent. » (Note
de M. J. Chaillou.)
(2) Cesbron d'Argonnes, né le 15 octobre 1733, commandait la place de Cholçt
pour les Vendéens. Préposé à la garde des prisonniers, il passait pour être dur
envers eux. Il signa avec Stofflet la pacification du 2 mai 1795.
________
« Je me souviens que nous
fûmes traversées sur la Loire (sic) par un prêtre déguisé en paysan. Il était
exténué de fatigue, car depuis deux jours il n'avait cessé de passer les
Vendéens.
« Une fois arrivé à l'autre
rive, chacun attendait sur l'herbe ses parents, ses connaissances pour se
rallier à eux. Je me mis à la recherche de ma tante, que je trouvai avec ses
enfants, dans un petit hameau tout brûlé.
Elle arrachait des pommes de
terre dans le jardin pour se procurer un peu de nourriture et calmer notre
faim.
Nous nous jetâmes dessus avec
avidité ; nous n'avions rien autre, car, bien qu'elle avait conservé de
l'argent, on ne pouvait rien acheter.
« Nous nous mîmes en marche
pour suivre l'armée vendéenne. J'étais accablée par la fatigue. Mes sabots étaient
cassés et me blessaient les pieds. Ma tante Brion avait hissé sa petite fille
derrière un cavalier, mis trois ou quatre autres enfants dans une ambulance et
traînait un autre par la main, après m'en avoir mis un sur le dos, me menaçant
à chaque instant de m'abandonner seule,
si je
n'allais pas plus vite. »
LA TOURNÉE DE GALERNE
« Nous arrivâmes ainsi à
Candé, pensant, nous y reposer, lorsque nous entendîmes crier : « Voilà les
Bleus ! »
Nous ne savions où fuir ;
heureusement que ces cris d'alarme renouvelés à chaque instant étaient souvent mal
fondés.
« Si vous saviez quel
singulier et lugubre spectacle que cette fuite de l'armée vendéenne : une
troupe sans ordre traînant des canons, toutes sortes d'armes et de bagages ; des
vieux chevaux portant les enfants ; les vieillards soutenus par leurs fils ;
des blessés se traînant à peine ; des soldats déguenillés groupés sans ordre.
Cette triste procession occupait quatre lieues de longueur.
« A Scgré, où l'on s'arrêta,
les paysans firent un feu de joie de tous les papiers de l'administration, au
pied de l'arbre de la liberté. Ensuite, par une pluie battante, nous nous
rendîmes à Château-Gontier. Je me souviens n'avoir mangé que deux pommes dans
ma journée ; j'étais accablée de fatigue et de faim.
Nous y vîmes un monceau de
prisonniers que les bleus venaient de massacrer ; les ruisseaux étaient tout
rouges du sang de ces malheureux.
« Nous partîmes de suite pour
Laval, où nous fûmes très bien reçus. Nous y restâmes neuf jours. Nous
couchions dans une cave ; ma tante avait arboré son mouchoir blanc au bout d'un
bâton, pour nous donner aide et protection. On nous distribuait du riz à l'eau,
quelques pommes de terre et des raisins verts. Nous reprîmes là un peu de
forces.
« L'armée quitta Laval, le lendemain de la Toussaint, où nous avions
assisté à une messe dite par un évêque caché dans nos rangs. Nous allâmes
jusqu'à Mayenne.
En y arrivant, de bons
soldats nous firent chauffer et nous cachèrent, car les habitants, surtout les
femmes du pays, jetaient des pierres sur les « brigands de la Vendée », comme
on nous appelait. Le pillage était permis dans la ville.
« Nous en repartîmes précipitamment
pour Le Mans.
En y arrivant, il y avait une
terrible bataille. On ne trouvait pas à camper dans les fermes. La route était
remplie de gens qui fuyaient ou marchaient sur des cadavres ou des mourants
dans les fossés. Ceux qui se sauvaient étaient repris par les républicains et
conduits immédiatement sur l'échafaud sans être jugés.
« Nous n'arrêtâmes pas dans
la ville, car ma tante Brion trouva un monsieur de Cholet, nommé Allard, chef des
chouans en renom, qui l'engagea fortement à revenir du côté de Nantes.
« Nous revenions avec
d'autres connaissances du pays par des chemins détournés où l'on enfonçait à
mi-jambe.
J'étais vêtue en paysanne ;
j'avais sur la tête un capuchon de laine violette que nous avions pris à une
pauvre grande dame tuée et restée sur la route. On nous dit que c'était Mme de
la Frégeolièrè, de Trémentmes, près Cholet. Je me souviens de ce nom. J'avais
un morceau de drap bleu, jeté sur mes épaules et attaché par devant avec des
ficelles. II faisait un froid excessif. Pour des chaussures, (sic), je n'avais
pas d'autres bas que ceux que je portais en quittant Le May.
Arrivée près de Saumur, je
perdis ma tante qui avait suivi une colonne de fugitifs, se dirigeant sur
Nantes.
J'espérais, cependant,
bientôt la rejoindre. Je couchai dans une ferme, sous une meule de paille. Au
même instant, arriva une petite troupe de républicains qui fouillaient partout
dans les recoins, espérant trouver des Vendéens cachés. Je sentis la pique des
baïonnettes qui sondaient le tas de paille ; j'étais plus morte que vive.
Je partis le lendemain au
petit jour en suivant les voitures de réquisitions et j'arrivai près de Saumur,
espérant y retrouver ma tante. J'avais 17 ans ; j'étais sans asile, exposée à
toute sorte de propos ; j'étais malade, exténuée. Près de la ville, je passai
la nuit dans un creux d'arbre et fut sauvé par une brave femme.
Elle se nommait la mère Manet
; elle assura aux bleus que j'étais sa fille et, pour me faire entrer avec
moins de difficultés dans la ville où elle allait tous les jours porter des
provisions, elle me mit une paire de poulets dans la main et un bissac de
légumes sur le dos. Elle me conduisit chez une de ses parentes qui lui avait
demandé une domestique. A l'octroi, on me fit cracher sur une cocarde blanche
et attacher une tricolore sur la poitrine. On m'avait bien défendu de dire que
j'étais de Cholet, car ceux qui étaient connus Vendéens étaient vite pris et,
sans aucune expli-cation, on les conduisait en prison.
« Je restai en place deux ans
chez un boulanger... »
FIN
D'ANNÉE 1793 A CHOLET.
Mais tous n'avaient pas quitté
le pays.
Un certain nombre de nos
compatriotes, après avoir tournoyé de hameaux en villages, avait réintégré
leurs demeures.
Le généralissime vendéen
d'Elbée s'était montré opposé au passage de la Loire. Blessé également à la
bataille de Cholet, il s'était réfugié près de Beaupréau et n'avait pas voulu
partager le sort de l'armée.
Un groupe de paysans, réunis
par Pierre Cathelineau, lui étaient restés fidèles et entreprirent de l'aller
mettre en sûreté à Noirmoutier.
Pendant quelques temps, le
calme régna donc dans notre pays.
« Après le passage de la
Loire », écrit Savary, « il ne restait dans la haute Vendée aucun des chefs,
aucun rassemblement à craindre. Tous les braves de l'armée vendéenne erraient
sur un sol étranger à cette contrée. Toutes les illusions, tous les prestiges
du fanatisme avaient disparu avec les prêtres... » (?)
Louise Barbier va bientôt
nous indiquer, — et c'est le seul souvenir qu'elle semble avoir conservé de ces
jours, — à quel autre genre de fanatisme les dévots de la « Déesse Raison »
pouvaient se livrer.
« On pourrait donc considérer
cette portion du territoire de la Vendée », continue Savary, « comme un pays
soumis, depuis la Sèvre jusqu'à Saumur. Il ne fallait plus y assurer la paix et
la tranquillité, qu'une surveillance active, dirigée par des principes de
clémence, d'humanité et de justice. »
Ce fut le contraire qui se
produisit.
A la suite des armées, après
leur passage, les autorités locales républicaines tentèrent de se reconstituer.
En peu de jours, elles furent supplantées par le Comité Révolutionnaire, qu'un
prêtre assermenté, curé intrus de Trémentines abandonnant sa soutane et son
ministère, Robin de Méricourt, vint former à Cholet.
Plus de cinq cents
arrestations furent faites dans notre ville et aux environs alimentant en
victimes les fusillades et les noyades d'Angers et des Ponts-de-Cé. « Fanatique
», tel est le mot que comporte la presque unanimité des condamnations, dont le
motif est l'attachement de nos concitoyens à leur foi religieuse.
C'est l'époque, d'ailleurs,
de la « déchristianisation », du « soulèvement antireligieux » selon le mot de
M. Ch.-L. Chassin qui sévit pendant les mois de brumaire
et de frimaire, au II.
Les abjurations et les
déprétisations se succèdent sur un rythme accéléré. La Convention institue son
calendrier de l'ère nouvelle, par ses décrets du 5
octobre et du 24 novembre 1793.
Les fêtes décadaires sont
inaugurées par Lequinio et Laignelot, les 31
octobre et 10 novembre, à Rochefort, à Niort, à Saint-Maixent, etc.
Une ou plusieurs « cérémonies
» de ce genre eurent lieu à Cholet, â des dates que nous n'avons pu préciser.
Nous en trouvons l'écho dans les papiers de Louise Barbier.
« Les prêtres étaient enfouis
dans les prisons, ou cachés au fond des bois et des grands genêts qu'il y avait
alors.
« Les semaines étaient de dix
jours et s'appelaient décades.
« On faisait de temps en
temps des processions de la Liberté. C'était M!Ie Coulonnier, dont le père
tenait la poste aux lettres, qui faisait la déesse, coiffée du bonnet phrygien
et drapée à la romaine. Elle tenait en main le drapeau de la Révolution ; à ses
pieds était assis un paysan du Carteron, qu'on appelait Dupé et qui était habillé
en empereur romain ; il représentait le dieu de l'agriculture.
« L'Eglise était fermée ; de
chez nous, j'ai vu brûler les confessionnaux, devant la porte ; les statues des
saints furent jetées au milieu des flammes.
« J'allais une fois à la
messe, à la ferme de la Goubaudière. C'était le mariage de Viaud, l'hôtelier de
la Croix-Blanche, .un de nos amis. Rien n'était si triste que ces cérémonies
lugubres. L'autel était dressé sur une table éclairée par deux lumières qui
laissaient le reste de la pièce dans l'obscurité, Les prières étaient dites à
voix basses et toujours avec la crainte d'être surpris.
« Puis, nous nous en
revenions tous, les uns après les autres par des chemins détournés, avant le
jour.
« Beaucoup de personnes y
furent enterrées. Le cimetière existe toujours ; le fermier n'a pas voulu y
toucher et le laisse inculte.
1794 -
L'HIVER ROUGE.
C'est le général Turreau qui
s'était chargé de rechercher tous les royalistes. Quand on lui en ammenait, il les
regardait en disait à ses soldats : «Donnez-leur un billet d'hôpital ! »
« Aussitôt on les emmenait
dans un pré, derrière l'église Saint-Pierre et on les fusillait sans les
entendre.
« En entendant ces coups de
feu, chacun croyait que c'était ses parents qui subissaient ce triste sort.
Le général était logé près de
l'église, à l'Hôtel de la Croix-Blanche (1).
« Chacun était caché dans sa
maison et ne sortait que le soir chercher de quoi manger encore. Nous ne
vivions que de châtaignes et de pommes. Les boulangers faisaient peu de pain et
le vendaient trop cher souvent il était impossible de s'en procurer car tout
était pris par les troupes qui se le disputaient.
« Après avoir entré (sic),
dans les maisons, les soldats fouil-laient les meubles, défonçaient les portes
et menaçaient de tuer ceux qui s'opposaient. Ils allaient jusqu'à arracher les
anneaux et les boucles d'oreilles des pauvres femmes. C'était à qui en aurait
le plus ; ils se faisaient gloire de faire sonner leurs poches.
« Ils allèrent chez ma tante
Coudrais qui était veuve, vivant de son revenu avec quatre ou cinq enfants en bas-âge »
« Ceux-ci criaient et se
jetèrent aux pieds des soldats, qui se contentaient d'emporter toute la
nourriture sans leur faire du mal.
« C'est à cette époque que le
général La Rochejacquelin fut tué à la Haie Bureau, par un grenadier qui
faisait semblant de se rendre.
« Le général Caffin, terrible
et sanguinaire, fit fusiller vingt-cinq personnes qu'on avait trouvées dans un
champ de genêts, à la Croix de Beault, en disant qu'il fallait purger le pays
pour le guérir.
(1)
Aujourd'hui Hôtel du Bœuf couronné.
________
« Les Républicains avaient aussi dressé des
chiens qui portaient des colliers à grelots, à flairer les cadavres et à les
dévorer. Souvent ils surprenaient des malheureux blessés cachés dans les
broussailles, les mordaient et ne les laissaient que quand les soldats les
avaient tués à coups de baïonnettes.
« M. de Rillé qui était le
porte-drapeau de Stofflet fut haché en morceaux.
« Une de mes amies, Eléonore
Gourdon, la grand-mère des messieurs Coubard(1) fut
mise en joue par un hussard ; le coup ne l'attei-gnit pas, mais la frayeur
l'ayant fait tomber, le soldat accourut pour l'achever. Sa jeune fille qui
pouvait avoir quinze ans, put se défendre, lui arracha son sabre et lutta contre
lui, mais ne dut son salut qu'à l'arrivée de plusieurs personnes qui la défendirent.
« Ma tante Coudrais se
défendit un jour avec sa broche à rôtir mais presque tous ces soldats étaient
lâches et s'enfuyaient à la moindre alarme.
« Il se passa des cruautés
que je ne pourrais croire si je ne les avais pas vues. Un soir des soldats
arrivèrent, défoncèrent notre porte et pillèrent tout ce qu'il y avait dans la
maison. Chacun s'enfuit.
« Ma belle-mère (Marie
Braud) avait un jeune enfant de trois ans que mon père avait eu de son
second mariage. Un soldat le lui enleva au bout de sa baïonnette laissant la
pauvre mère évanouie.
« Il arriva un jour deux
hussards qui venaient d'une excursion et rapportaient un chapelet fait avec des
oreilles humaines. Ces barbares, en vrais sauvages, les mettaient sur le gril
et les mangeaient en débitant des horreurs qui faisaient frémir.
Le général Boucret était à la
Tessoualle, à dix kilomètres et brûlait tout le bourg et l'église. Il fit
mettre le feu dans un grand champ de genêts, dans le bas des Juchellières, où
tous les habitants étaient réfugiés et il faisait tirer sur ceux qui voulaient
s'échapper. Mon frère Louis, qui y travaillait à tisser de la toile, se sauva
en traversant la rivière et arriva nous raconter ce massacre où périrent plus
de soixante personnes.
(1) ancêtre du Dr
Coubard (fondateur du souvenir Vendéen)
________
« C'est à cette époque que ma
belle-mère céda son hôtel. Mon pauvre père était mort depuis trois ans et elle ne
pouvait plus s'ocuper d'une aussi nombreuse famille, car nous étions encore dix
à la maison. Ma sœur Renée était mariée à Mortagne avec François Cherbonnier ; j'avais
un frère qui se nommait Pierre et qui avait été enrôlé dans les troupes
républicaines par son sort de la conscription. C'était un jeune homme doux et
aimable, que nous n'avons jamais revu, car il fut tué en Bohême, à côté d'un
ami qui, revenu plus tard, nous raconta ses dernières recommandations et nous
dit son regret de mourir loin de ses parents sans pouvoir les embrasser.
« Mon frère aîné, Louis,
travaillait à la Tessoualle et partit bientôt soldat dans le Nord. Ma sœur
Victoire était partie depuis quelque temps chez ma tante Brion, au May...
« Nous fûmes tous dispersés
de la maison paternelle, avec un héritage bien facile à partager. Il nous
restait bien la maison qui avait une certaine valeur et de plus elle était au
trois-quarts incendiée. Nous fûmes placés chez les uns et les autres de la
famille. Ma sœur aînée, Renée, prit ma sœur, Cécile, et l'emmena à Mortagne.
Ma sœur Jeanne fut recueillie
chez mon oncle Blain. Mon frère Eugène avait été emmené par ma tante Coudrais.
« Je fus placée chez mon
cousin Delhumeau, qui était mon tuteur. J'étais bien partagée ; ces parents me
portaient beaucoup d'affection ; ils étaient fabriquants de toiles et mouchoirs
au Brctonnais, et dans une grande aisance. Ils n'avaient qu'un fils unique qui
pouvait alors avoir vingt-cinq ans.
COMBAT DANS LES RUES
DE CHOLET.
« Une nuit, on vint nous
annoncer que les chouans arrivaient en masse et environnaient la ville. Le
tambour battait. Ils entrèrent tout à coup à Cholet, tuant tous ceux qui ne
criaient pas : « Vive le Roi ! ». Cette journée fut remplie d'angoisse pour
tous. Le soir, ma cousine entendit frapper à la porte du jardin qui avait issue
sur une petite ruelle. C'étaient deux grenadiers de l'armée de Mayence (?) qui,
cachés dans la cour, attendaient la nuit
pour se
sauver. Ils n'en avaient plus la force ; tous les deux blessés, ils se soutenaient
l'un et l'autre. « Citoyennes », nous dirent-ils, d'une voix faible, «
hâtez-vous de nous ouvrir, sans quoi nous allons être massacrés par les brigands.
» Ma cousine hésitait à les faire entrer chez elle. Elle et son mari étaient
très royalistes. Son mari et son fils étaient partis se battre contre les
bleus, sur la route de la Séguinière. Mais son cœur la décida. Je lui aidai à
les soigner, car ils étaient si exténués qu'ils faisaient vraiment pitié.
« Au même instant, on frappa
violemment à la porte de la rue. C'était une bande de Chouans qui rapportaient sur
une civière le fils de mon tuteur, Louis Delhumeau, qui avait été blessé sur la
route de Nantes. Ils déposèrent leur fardeau et se sauvèrent au plus vite, nous
disant que c'étaient les bleus qui étaient maîtres de la ville. Le pauvre
blessé était dans un état désespéré. On courut chercher un prêtre qui vint dans
la nuit, déguisé, lui administrer les derniers secours de la religion. Il
mourut quelques instants après. On l'enterra le lendemain avec le général
Moulin, au pied de l'arbre de la Liberté, sur la place du château.
« Tous les jours, il arrivait
des Iroupes républicaines en guenilles, qui pillaient et prenaient tout dans
les maisons. »
De son côté, Cécile Barbier a
laissé en note les souvenirs suivants qui se rapportent à cette époque et aux
jours qui suivirent l'évacuation de Cholet. Nous les donnons de suite pour ne
plus interrompre le récit de sa sœur Louise :
« Lorsqu'il fallut quitter la
maison paternelle, je fus désignée pour aller chez ma marraine, qui était ma
sœur Renée, mariée à Mortagne avec François Charbonnier."
« Nous étions affolées par la
terreur et les crimes atroces qu'on voyait commettre tous les jours. Quelques semaines
avant, j'avais vu embrocher l'enfant de ma belle-mère, qui pouvait avoir trois
ans par le sabre d'un soldat abruti qui voulait toutes nous tuer, si nous ne nous
étions pas sauvées au plus vite.
« Une de mes sœurs, Modeste,
âgée de vingt-trois ans environ, fut fusillée pendant la guerre.
« Elle s'était réfugiée dans
une cave avec une vingtaine de per-sonnes. Ils y étaient depuis plus de quinze jours,
s'y croyaient en sécurité et attendaient pour sortir « un calme de troupes »
(sic) (1). Un ami dévoué leur faisait passer des vivres, en les mettant au
courant de la situation.
« Par malheur, ils avaient un
petit chien caché avec eux. Un jour qu'une patrouille de bleus cherchait et fouillait
partout, le chien se mit à aboyer et trahit ainsi les malheureux cachés qui se
croyaient en sûreté. Ils furent aussitôt tous fusillés.
« C'était dans les carrières
de la place Saint-Pierre, où était le cimetière qu'on venait de changer pour le
mettre où il est actuel-lement.
ÉVACUATION DE CHOLET.
« Un ordre vint de la
Convention, nous dit le récit de Louise Barbier que nous reprenons, que tous
les réfugiés sortiraient de la Vendée. Par réfugiés, on entendait tous les
habitants du pays. Les généraux Turrcau et Grignon, — je n'oublierai jamais les
noms de ces monstres-là, — ordonnèrent de brûler tout ce qui restait de la
ville de Cholet, détruire les maisons, égorger les habitants sans épargner ni
les femmes, ni les enfants, ni les vieillards, s'ils n'étaient pas partis dans
les vingt-quatre heures. Il n'y avait pas d'autres moyens de purger la ville de
tous les brigands.
« Tout le monde pleurait de
quitter sa maison, son père, sa mère, sa famille pour aller où ?... nous n'en
savions rien.
(1) C'est-à-dire que les troupes ne
reviennent plus à chaque instant fouiller les ruines et les cachettes de
Cholet. L'événement dut se produire vers fin mars 1794 à l'une des venues des
troupes républicaines au milieu de notre ville en ruines, vraisemblablement le 26 mars 1794.
________
« Le 3 mars (1794), on mit le feu à l'église
Saint-Pierre. Mais le bon Dieu punit celui qui l'y mit, car il ne put en sortir
et brûla dans l'église. La maison de mon père, qui était en face, fut incendiée
en même temps.
« Ma tante Coudrais, qui
demeurait au Coin et où était mon frère Eugène, vint me chercher et me dit
qu'il fallait partir au plus vite parce qu'on lui avait dit que tout Cholet
allait brûler. Elle nous fît faire un petit paquet de nos quelques hardes. Elle
aussi ramassait ce qu'elle croyait le plus utile pour en faire un ballot et le
mettre dans les ambulances qui allaient à Nantes, C'est de ce côté qu'elle
pensait nous emmener avec ses enfants, car nous ne savions où aller sans pain
et sans asile. Nous étions en guenilles ; j'avais une vieille coiffe de laine jaunie,
les pieds dans des sabots attachés avec des cordes. Nous partîmes donc avec ma
tante Coudrais qui avait avec elle ses deux enfants,
deux autres neveux du côté de son mari, mon frère et moi.
« Dès en partant, nous vîmes
fusiller deux hommes et,l'abbé Guitton, vicaire de
Saint-Pierre. On les avait mis sur le bord de la rivière et les soldats placés
sur le parapet du château s'exer-çaient à tirer sur eux.
« Ma tante Coudrais avait
décidé de se diriger sur Mortagne, parce qu'elle espérait nous laisser, moi et
mon frère, chez ma soeur Cherbonnier et où était déjà réfugiée ma sœur Cécile.
« Nous étions à peine rendus
à la Haie (1), que nous vîmes tout Cholet en feu. Les habitants arrivaient
criant et pleurant, à peine vêtus, traînant les
enfants, soutenant les vieillards, sans pain, sans asile, quelques guenilles sous
le bras, sans savoir où aller se réfugier. C'était le mercredi des Cendres.
« Ce fut ce jour-là que ma
grand'mère fut massacrée au Pont-Joly, au moment où elle se rendait à l'hôpital
(2) pour s'y réfugier. Une de ses sœurs fut tuée au près d'elle et une autre,
ma tante Madeleine, fut massacrée dans sa maison même, au moment où elle se
préparait à partir.
(1) Le plateau de la Haie, entre les
routes de Mortagne et du Puy-Saint-Bonnet, domine l'usine à gaz.
(2) L'hôpital était situé rue des
Vieux-Greniers. Il ouvrait à peu près en face de l'ancienne tour existant
encore. Les blessés étaient soignés également au couvent des Cordelières qui,
après la Révolution, devint l'hôpital de Cholet. Le Pont Joly
était l'endroit où le ruisseau de Pineau passait dans la rue Salbérie, en arrivant
à la Promenade. C'était un ravin où il y avait un pont
rustique pour les piétons. Les
charettes passaient dans l'eau.
________
« A l'hôpital, les malades furent abandonnés
et moururent faute de soins (l).
« On avait fait des monceaux
de paille et de bois, dans les prin-cipales maisons, et bientôt toute la ville
offrit le spectacle épouvantable d'un vaste bûcher.
« C'était la quatrième fois
qu'on y mettait le feu. Pendant quelque temps, la ville détruite ressembla à un
désert. Il n'y avait pour habitants que des soldats affamés qui cherchaient
sous les ruines les choses précieuses qui avaient échappé à l'incendie. Les
loups y arrivaient la nuit pour dévorer les cadavres mal enterrés des
malheureuses victimes.
« Nous continuions
péniblement notre route vers Mortagne, en tremblant, quand nous voyions les
bleus. Nous nous croyions perdues quand ils nous criaient : « Rendez-vous,
brigandes, ou la mort ! » Alors il fallait crier :
« Vive la République ! A bas
les aristocrates ! A mort le roi !» A la moindre hésitation, les soldats
fusillaient à bout portant et transperçaient les petits enfants de leurs
baïonnettes. Plus de cinquante personnes furent victimes de leur fureur, de
Cholet à Mortagne.
« Il fallait se cacher dans
les broussailles et les ajoncs, en perdant ses sabots, en déchirant ses
vêtements, dans des chemins détrempés d'où on ne pouvait plus sortir.
« Arrivés près du château de
la Tremblaie, nous vîmes fusiller un prêtre, que les soldats avaient trouvé dans
le creux d'un arbre. Ils se partageaient les débris des vases sacrés que le
malheureux avait voulu cacher. »
(1)
Une enquête fut faite à l'époque sur l'abandon des malades dans l'hôpital de
Cholet, dont les rapports sont aux Archives départementales de la
Loire-Inférieure.
________
A MORTAGNE.
« Enfin, nous arrivâmes à
Mortagne à la nuit, espérant coucher chez ma sœur, car nous devions y avoir des
laisser-passer pour nous diriger ensuite vers Nantes. Mon beau-frère
Cherbonnier était requis par l'armée pour réparer les fusils. Il y avait
toujours Un factionnaire à sa porte pour l'obliger à travailler et le surveil-ler.
« Mais en arrivant, nous
eûmes la déception d'apprendre qu'ils (sic) avaient émigré. Mon beau-frère avait
été dénoncé comme royaliste et ne dut son salut qu'à un hasard providentiel. Sa
femme avait dû prendre la fuite, emmenant deux jeunes enfants, François et
René, qui étaient de la même année 1789, l'un du mois de janvier, l'autre du
mois de décembre. Mon pauvre frère était resté caché dans son grenier sous des
bottes de paille. Les soldats furetaient partout pour le découvrir et,
désespéré, il allait se livrer, quand un chat qui était à côté de lui s'élança
dans une chambre voisine, fit sonner par hasard le timbre d'une pendule.
Entendant ce bruit, ses ennemis abandonnèrent le grenier où il n'avait plus que
l'espoir de se livrer à ses bourreaux. Ils courrait vers cette pièce, voient
une fenêtre ouverte et s'élancent pour le poursuivre, croyant qu'il s'était
évadé par cette issue.
« Mon beau-frère, plus mort
que vif, sortit le soir de sa cachette. A l'aide de déguisements et par des
chemins détournés, il se rendit à Nantes où sa femme l'attendait avec une
grande inquiétude.
« A Mortagne, comme à Cholet,
l'incendie fumait encore. Tout était à feu et à sang, car c'était le général Huché,
le plus féroce de tous, qui y faisait tout massacrer.
Nous étions sur la place de l'Eglise, témoins de la plus horrible barbarie des
soldats. Le Général faisait larder deux prisonniers vendéens, après les avoir
assaillis à coups de sabre. Les bourreaux eux-mêmes se refusaient d'obéir à
infliger cet affreux supplice, tant les deux victimes souffraient et criaient
en se débattant contre la mort, demandant en grâce de les achever à coups de
pistolet. « Gardez-vous en ! » ordonnait le général, « enfoncez vos sabres plus
avant ; vous ne savez pas votre métier. »
« Nous allâmes chercher un
refuge dans une ferme, afin d'y passer la nuit. Mais nous en sortîmes aussitôt,
remplis d'effroi ; nous y vîmes couper par petits morceaux un paysan et son
fils, parce qu'on avait trouvé le curé de la ville caché chez eux et à qui on
avait coupé les deux jambes aux genoux. Le malheureux se débattait encore dans
les dernières convulsions de l'agonie.
« Nous nous cachâmes dans un
champ de genêts où nous eûmes bien froid toute la nuit ; une neige fine et serrée
blanchissait les chemins. Ma tante Coudrais nous fit partir de Mortagne de
grand matin, car l'ordre était venu, comme à Cholet, d'évacuer la ville. »
A MONTAIGU.
« Nous arrivâmes à la nuit à
Montaigu. Là aussi, tout était brûlé, la ville déserte de ses habitants, et les
soldats excités par le général Huché qui, partout où il passait, signalait sa
présence par des actes de la plus indigne des cruautés. Il y avait fait amener
huit cents Vendéens qu'il avait fait égorger. Ayant reconnu le curé, il lui fit
couper la langue et les oreilles, et arracher les yeux avant de l'achever. Il
fit suspendre plusieurs malheureux par le menton à des crochets de fer, parce
qu'ils n'avaient pas crié assez vite ; « Vive la République I », et qu'on avait
découvert des cocardes blanches sous leurs vêtements. On les fit brûler dans
cette position.
« Ces cruautés n'avaient plus
de bornes. Nous en étions les spec-tateurs tremblants. Il fallait les regarder
sans avoir l'air de s'en apercevoir, car si nous avions eu le malheur de crier
et d'avoir peur, dix soldats étaient prêts à nous faire subir le même supplice.
« Ma tante Coudrais nous fit
entrer dans une maison qui n'avait que les ouvertures, sans porte ni fenêtre.
Elle nous fit un grand feu dans le milieu de la place pour nous réchauffer et
nous faire cuire quelques pommes de terre pour manger avec le peu de pain qui
nous restait et sans savoir si nous en aurions pour le lendemain.
« En ce moment arriva ma sœur
Cécile qui avait le petit Cherbon-nier François, l'aîné des enfants de ma sœur
(1). Ils avaient perdu la mère et c'était à qui pleurerait le plus fort. Ma
sœur avait quatorze ans et le petit garçon quatre ans. Ma tante les fit manger
et les consola de son mieux. Puis nous nous endormîmes, la tête sur notre petit
baluchon, tout habillé de peur d'être surpris.
« Avant l'aube du jour, ma
tante nous réveilla et nous fit faire notre prière. Nous partîmes à la garde du
bon Dieu. En sortant de la ville, on avait fait une barricade des corps des
victimes, pour empêcher les émigrés de fuir et les ambulances de passer. C'est
par des détours, dans les genêts, derrière les haies et toujours en crainte d'être
surpris, que nous quittâmes cette ville. »
VERS CLISSON ET
NANTES.
« Ma tante nous fît prendre
le devant, en nous disant qu'elle allait nous chercher de la place dans les
ambulances ; c'étaient les charrettes qui emmenaient les vieillards, les
enfants et les malades, à la suite des émigrés.
Puis elle nous dit qu'elle
nous retrouverait à Nantes, sur la place du Bouffay. Mais nous ne devions plus
la revoir, car on vint la prévenir, par ordre de M. Lecoq, un de ses amis,
qu'elle était dénoncée et qu'elle serait arrêtée en arrivant à Nantes (2). Elle
fut alors obligée de se déguiser, d'éviter cette ville et de suivre une bande
de réfugiés qui se dirigeaient sur Varades.
(1) François Cherbonnier, né à Mortagne
le 10 janvier 1789, parti militaire
en 1808, fit comme sous-officier les
campagnes d'Autriche et d'Allemagne et comme sous-lieutenant celle de Russie,
fut blessé à la bataille de la Moskowa (5
septembre 1812).
Les papiers de notre regretté ami Léon
Bonnineau conservent de nombreuses lettres écrites pendant ce temps à sa mère.
Sa dernière lettre est du 17 septembre.
Il mourut quelques jours après.
(2) Interrogatoire des détenus dans les
prisons nationales d'Angers, folio 64 et suiv. : Cécile Coudray, 14 ans, de
Cholet, fille de défunt Louis Coudrais et de Mathurine Auvinet, est restée à
Varades, où elle a été arrêtée, a passé par les conseils de Amaury (Gelusseau)
et ses filles ; sa mère, une scélérate. -
________
« Nous nous dirigions donc tout doucement sur
Clisson, regardant toujours derrière nous, espérant voir arriver notre tante,
ou les charrettes qu'elle nous avait dit qui nous rejoindraient (sic).
« Nous étions six pauvres
enfants. Ma sœur Cécile, la plus grande, avait le petit Cherbonnier sur le dos
; moi et mon frère Eugène et les deux enfants de ma tante Coudrais. Nous
n'avions pas de pain ; nous en demandions dans les fermes ou les bourgs où nous
passions.
Mais on nous ouvrait à peine
les portes, tant on était en crainte de se voir arrêter.
« Nous étions tous exténués
de fatigue et mourant de faim. Nous allions infailliblement périr lorsque, près
d'arriver à Clisson, nous vîmes des cadavres de soldats dans un fossé. Ma sœur
Cécile nous fit cacher et s'approcha pour voir s'ils étaient bien morts ou
seulement endormis, et leur vit des pains de munition attachés à leurs sacs.
Craignant d'être surprise ou vue, ce fut moi et Eugène qu'elle envoya pour les
leur chercher, car nous mourrions de faim et le petit François criait sans
cesse pour en demander. Mon frère Eugène rampait dans le fossé pour arriver
tout doucement à ces malheureux soldats, que nous croyions endormis, et pour
leur dérober ce pain noir qui nous faisait tant envie. II voulut
aussi
prendre une gourde qui pendait au cou d'un de ces cadavres et, ne pouvant y
réussir, nous le vîmes couper la corde avec ses dents.
« Avec quelles précautions il
revint rapporter le fruit de son larcin à ma sœur Cécile. Quel triste mais
copieux déjeuner nous fîmes ! Avec quel appétit nous dévorions ce pain noir que
la Providence nous envoyait et qui devait nous sauver la vie. Ma sœur, après
nous avoir fait nos parts, nous fit ramasser soigneusement les restes.
« Puis, remettant le petit
Cherbonnier sur son dos, nous nous remîmes en route jusqu'à Clisson où la
terreur régnait comme partout et où l'on voyait les flammes et des tourbillons
de fumée, dont l'odeur sinistre nous remplissait de frayeur.
« Nous venions de nous
arrêter pour nous reposer en sortant de cette ville. La terre était glacée et
couverte de frimas ; c'était au commencement de mars
(1794). Tout à coup nous entendîmes
des coups de fusil et nous fûmes arrêtés par une troupe de chouans qui
voulurent nous tuer, parce que nous devions, disaient-ils, les dénoncer.
Ils nous firent mettre à genoux
au milieu d'un carrefour, en disant de faire notre prière, parce qu'ils
allaient nous fusiller. Nous jetions des cris lamentables en demandait grâce.
Mais ces forcenés n'écoutaient ni prières ni supplications et allaient mettre
leur projet à exécution quand ils entendirent et virent arriver des cavaliers.
Ils se mirent aussitôt en fuite nous laissant plus morts que vifs, sans savoir
si ceux qui arrivaient n'allaient pas nous achever. Mais non, c'étaient des
émigrés suivis des ambulances qui se dirigeaient sur Nantes. On nous y fit
monter et
nous arrivâmes dans cette ville à la nuit. »
A NANTES,
« Ma sœur Cécile resta à
Saint-Jacques, cherchant ma sœur Cherbonnier qui devait l'y attendre avec son
plus jeune enfant, nommé René, qu'elle allaitait encore. Nous nous rendîmes,
moi, mon frère et les enfants Coudrais, sur la place du Bouffai, pensant y
retrouver ma tante Coudrais. Mais nous attendîmes en vain. Nous étions seuls
sur cette place ; il faisait noir ; une petite pluie fine et froide nous
glaçait jusqu'à la'moelle des os. Nous pleurions à chaudes larmes et nous nous
serrions les uns à côté des autres, tout tremblants et découragés.
« Les passants s'approchaient
de nous et nous interrogeaient. Lorsque nous leur disions que nous étions de Cholet,
ils voulaient nous jeter dans la Loire que nous étions déjà si effrayés de voir
couler si près de nous.
Mais le bon Dieu permit que
deux de ces gens qui nous regardaient se dirent :
« Ces enfants me font de la peine
! Nous aurions bien pitié d'un chien. Emmenons ces enfants, car ils vont périr
cette nuit si nous ne les recueillons pas. »
« Que veux-tu que nous
fassions de ces marmots-lâ, répondit l'autre. »
« Partageons, je n'ai pas de
garçon, je vais emmener le petit. » — « Moi qui n'ai que des garçons. Je me
chargerai de la petite fille et nous les remettrons à leur famille quand nous saurons
leur adresse. »
« Mon frère Eugène et moi, en
entendant ces paroles, nous nous mîmes à crier plus fort. Nous ne voulions pas nous
séparer et nous pleurions tant que ces gens, émus, nous promirent que nous nous
reverrions souvent. Les enfants Coudrais furent aussi recueillis par des
passants qui les menèrent au Sanitat, hospice où l'on recueillait les enfants,
et nous ne les revîmes plus après, à Nantes (1).
« Enfin, après avoir embrassé
mon frère, je suivis mon protecteur, qui était armurier, nommé Ganachaud. Il
demeurait sur la fosse et était commissaire de quartier (2), On me mit à
coucher dans une mansarde avec la domestique, une méchante républicaine. Le
soir, je voulus faire ma prière ; elle me dit qu'elle allait me jeter par la
fenêtre. Elle ne m'appelait que la « petite brigande », la « petite chouanne »
et menaçait de m'étrangler à chaque instant. De mon lit, j'entendais des cris
épouvantables : c'était des « brigands » de la Vendée qu'on noyait dans la
Loire.
« Un soir, cette femme
méchante me tira du lit pour me faire mettre à la fenêtre. On embarquait une
troupe de prisonniers qu'on entassait sur une barque qui devait les engloutir.
On trouvait cela plus prompt que la guillotine. Elle (la servante) me disait :
« Voilà, petite chouanne, le sort qui t'est réservé. Je te mènerai demain voir
Carrier. »
« Quand je me rappelle ces
cris navrants, le frisson me prend encore. Jamais ces tristes souvenirs ne
s'effaceront de ma mémoire.
(1) Louise Barbier ajoute ici en marge :
« Ce n'est que plus de soixante-dix ans plus tard que ces quatre orphelins de
la guerre, ces quatre enfants que la Providence avait si visiblement protégés,
purent s'embrasser et se rappeler leurs malheurs. Ce fut la dernière fois que
mon frère Eugène vint à Cholet. le
20 septembre 1865. »
(2) « La maison existe toujours ; un des
descendants y est armurier, le nom est sur renseigne. » (Note de Louise
Barbier.)
________
« J'obtins la permission
d'aller voir mon frère qui avait été emmené par un nommé Navier, qui était
entrepreneur de bâtisses et demeurait sur les boulevards. II l'occupait à
rouler les brouettes et à servir les maçons dans les constructions qu'il
conduisait. On l'apprit (sic) à servir à table ; il mangeait du pain, ce que
tout le monde ne pouvait pas faire, car on se mettait en file chez les boulangers
pour en avoir. Nous mangions plutôt du riz ou des pommes de terre. Comme mon
frère servait à la cuisine, il n'était pas malheureux. Je lui ai entendu
raconter l'anecdote suivante : Un jour, on lui avait dit d'aller à la cave
chercher du vin. Il s'en revint avec les lèvres barbouillées de noir. On avait
voulu l'éprouver en en mettant à la bouteille. La chose fut prise en riant, mais
il se garda bien de recommencer.
« J'étais obligée de passer
sur la place du Bouffai pour aller voir mon frère. J'étais souvent arrêtée par
la foule, qui était à voir guillotiner des malheureux souvent innocents. Ils
avaient de grandes chemises rouges. Beaucoup étaient traînés sans connais-sance.
On m'interrogea plusieurs fois, mais je faisais voir un permis de mon maître qui
était chef de district et on me laissait partir.
« Je fus trois ans (1) à
Nantes. Je fis ma première communion au Sanitat, sous un prêtre assermenté,
avec mon cousin Blain (2) qui avait été placé aussi lui en arrivant à Nantes
dans cet hôpital. J'allais apprendre à lire chez des religieuses chassées de
leur couvent. Dans des maisons de gens dévoués à la bonne cause, elles
instruisaient les pauvres enfants abandonnés. »
(1) Trois ans... non, mais 1794 à partir de mars, 1795 et peut-être les deux premiers mois de
1790.
(2) « Auguste Blain, fils de Jean Blain,
calendreur, et de défunte Louise Martineau, de cette paroisse, ledit enfant âgé
d'environ dix ans, emmené à Nantes. » (Registre de M. Boisnaud.)
E. M. Chorin note à la suite : « Ce Blain
m'a raconté avoir passé la nuit de la bataille de Cholet dans la chapelle du
château du Pontreau, puis en se rendant à Nantes, avoir couché dans les ruines
du château de TifTaugcs. »
________
TRÊVE ET PACIFICATION.
« Cependant Cholet était
toujours le centre de la guerre. Pendant un an, elle fut déserte d'habitants
(autres) que des soldats, tantôt des chouans, tantôt des républicains (1). Il
n'y avait pas de vivres. La caserne était aux Cordeliers (l'Hôpital), la seule
maison qui n'avait pas été brûlée.
« Enfin, on parlait de la
paix qu'on allait signer. »
Elle fut conclue
effectivement le 17 février 1795 au
château de la Jaunaye, près Nantes, entre les députés de la Convention et
Charette et ses officiers. Le 31 mars,
à sept heures du soir, les troupes républicaines, conduites par Canchaux et le
représentant Dornier, arrivèrent à Cholet. Savary prit le commandement de la
place.
« Le 11 avril 1795, on fit un banquet pour la
conciliation. Ce fut le 2 mai que fut affichée la paix (conclue cette fois à
Saint-Florent avec Stofflet), signée de Dornier, Ruelle, Bollet, Jarry et
Chaillon, tous citoyens républicains. On mit tous les prison-niers du château
en liberté.
« Peu à peu, les réfugiés
arrivaient à Cholet par petites troupes, par famille. Rien n'était triste comme
ce retour de l'exil, de voir chacun vêtu de guenilles, (portant) des paquets
attachés sur le dos ou sur un pauvre cheval qui portait aussi les enfants ou
les vieillards. En arrivant, on retrouvait à la place de sa maison une masure
vide. Pas d'argent, ni fruits, ni légumes ; pas de pain, pas de travail.
(1) La ville de Cholet ne resta
véritablement déserte que pendant les mois de mars
et d'avril 1794. Dès le mois de mai, certains habitants qui s'étaient
cachés dans les environs, vinrent reprendre possession des ruines. La ville et
le pays furent alors administrés, en dehors de toute la France, au nom du petit
roi Louis XVII, jusqu'à la rentrée des troupes à Cholet.
________
« J'avais douze à treize ans
quand je.revins à Cholet, en compagnie d'une de mes sœurs qui avait six ans de plus
que moi et se nommait Rosalie. Elle avait suivie l'armée de la Loire avec M.
Lambert, un de nos parents éloignés. C'était un des gros fabricants de toiles
de Cholet, qui avait émigré jusqu'à Laval. C'était en hiver. Je fis la route à
pied en troisjours* en leur compagnie et avec d'autres émigrés qui rentraient
au pays.
« La maison de mon père était
brûlée. Ma belle-mère était remariée avec un nommé Bibard. Ma grand'mère, Marie
Moreau, qui demeurait au Puy-Gourdon, avait été tuée par les républicains au
Pont-Joly. Mon oncle Blain (1) (son gendre) s'était emparé de son petit avoir pour
aider à nous élever. Il avait vendu la maison. Il n'avait pas quitté le pays.
Il nous dit qu'il s'était occupé de nos affaires et n'en avait presque rien
retiré. Nous avons toujours pensé qu'il en avait été le meilleur héritier. Ce
qu'il y a de sûr, c'est que nous n'avions plus rien.
« Je fus recueillie par une
de mes sœurs aînées qui s'était mariée avec un nommé Airaut et qui n'avait pas d'enfant
(2). Elle demeurait sur la place Saint-Pierre et s'était cachée dans les
environs de Cholet pendant la tourmente révolutionnaire. Mes sœurs Jeanne et
Rosalie se joignirent à nous ; cette dernière mourut dans l'année.
Je refis une seconde fois ma
première communion ; celle que j'avais faite à Nantes par le prêtre assermenté,
fut dite mauvaise. C'était le curé Boisnaud (sic) qui nous faisait le
catéchisme. Je me souviens qu'il me demanda un jour si j'étais aussi démocrate
que ma sœur Cherbonnier et qu'il me dit de ne plus revenir à la messe sans
capot.
(1) Après le décès de Louis Barbier,
Marie Moreau s'était remariée en mai 1754, à l'âge de 37 ans, avec Louis Martineau,
âgé de 26 ans, dont elle avait une fille, Louise-Françoise. Cette dernière
épousa Jean Blain, le 20 mai 1774, et
eut cinq enfants dont le dernier, Alexis Blain, cité plus haut.
(2) Pierre Aireau, cordonnier et
sacristain, avait environ 23 ans quand il passa la Loire. Il revint à Cholet et
habitait la maison touchant l'église Saint-Pierre. Il avait les pieds tournés. Sa
démarche difficile l'avait fait surnommé « le travoueil du purgatouère ». Il
épousa Marie Barbier. (Note de M. J. Ghaillou.)
________
«: Nous étions bien tristes
et découragés. Nous n'avions pas de pain. J'allais chez un M. Boffet (1)
chercher un bon pour aller chez le boulanger. Un jour j'avais trois onces de
riz et le lendemain douze onces de pain qu'il nous fallait cacher, car souvent
les soldats nous l'arrachaient. On ne trouvait aucune chose à acheter. Il n'y avait
que le père dés messieurs R..., qui allait toutes les semaines à Saumur et à
Angers. Il rapportait de l'épicerie et de la mercerie sur son dos, et la
revendait au poids de l'or, en arrivant à Gholet (2).
« Cependant, nous n'étions
pas encore rassurés ; chacun était dans la crainte ; on parlait encore de
guerre.
Stofflet arrivait de temps en
temps pour soulever les paysans ; mais ces malheureux battus, ruinés, sans
asile, n'avaient plus ni énergie, ni courage.
« Peu de temps après, on
apprit que Stofflet avait été fusillé à Angers (3). Dans la même semaine (4) on
fit passer Charette prisonnier à travers Cholet. Conduit par le général Travot,
le jour du vendredi saint 1796, (il vint) au milieu de rues désertes, d'un
silence de mort, car personne n'osait sortir de chez soi.
« De ce moment on eut
davantage d'espoir de paix ; la population fut plus rassurée.
(1) M, Roffay avait été nommé président
de l'Administration cantonale de Cholet. Il exerça pendant un an dans notre
ville des fonctions analogues à celles de maire.
(2) Le même fait est signalé dans
l'Histoire de Cholet de M. A. Gelusseau (t. II, p. 335) : « Le dénûment était
si grand, que nous savons un habitaru jeune, intelligent et courageux qui, ruiné
par la guerre, a gagne le noyau d'une fortune considérable à aller chercher à
Saumur et à Angers des épiées et de la mégisserie qu'il rapportait sur son
échine et qu'il vendait à bons deniers comptant ; chaque semaine, un de ces
pèlerinages lui rapportait jusqu'à quinze et trente écus de gain. Quand sa
bourse sera pleine, il achètera des mouchoirs de Cholet qu'il vendra sur les
marchés de la ville métropolitaine du dépar-tement. De colporteur il se fera
artisan, puis fabricant ; bientôt il sera manufacturier
(3) Le 25
février 1796.
(4) « Dans la même semaine » non,
dans le mois suivant. Charette traversa Cholet le 24 mars. Il, fut fusillé
à-Nantes, sur la place Viarmes, le 29 mars 1796.
________
Quelques négociants organisèrent
des métiers (1) ; chacun travail-lait pour se faire quelques aunes de toile
pour se couvrir, mais nous ne voyions guère d'argent ; chacun payait en
assignats.
Cholet était bien pauvre.
« Les choses allèrent ainsi
jusqu'en 1800, où reprirent les
affaires sous le Premier Consul Napoléon, qu'on accueillit avec joie. Les
églises furent rouvertes, les prêtres revinrent avec sécurité.
« C'est à Montfaucon que fut
signée tout à fait la paix de la Vendée, le 28 janvier
1800. »
(1) Onze négociants réunis en Société
empruntèrent au gouver-nement, le 21 messidor an
IV, une somme de six millions de mandats territoriaux, qui permirent
à l'industrie choletaise de renaître de ses cendres.
******
Louise Barbier vécut donc
avec ses soeurs pendant quelques années ; elle était couturière. Lorsqu'elle
parvint à l’âge de dix-neuf ans, son cousin Maillet lui proposa un jeune homme,
orphelin comme elle, Alexandre Champeaux.
Il était né en 1776, à Tours, et s'était enrôlé en 1790 dans les armées de la République. Pris
par les Anglais, il resta trois ans prisonnier sur leurs pontons. Avec une
dizaine de compagnons, il tenta de s'évader et parvint avec deux seulement à se
faire recueillir par un navire qui les débarqua à La Rochelle. Pour regagner sa
ville natale, il passa par Cholet. Il se trouvait à l'Hôtel de la Croix
Blanche, tenu par M. Viaud, à l'emplacement de l'Hôtel actuel du « Boeuf couronné »,
place Saint-Pierre, lorsqu'il apprit que le perruquier d'en face était
grièvement malade, et que sa femme ne pouvait trouver personne pour lui faire
sa besogne. Champeaux, qui avait fait bien des métiers, s'offrit à lui venir en
aide et s'en acquitta très bien. Le mari mourut ;
Champeaux continua à conduire la boutique que la veuve lui céda.
Louise Barbier, qui
travaillait dans le voisinage plut au jeune Figaro. A la proposition du cousin
Maillet, elle fit quelques difficultés... Le prétendu était borgne. Mais,
elle-même était presque sans famille, chez des frères et sœurs trop heureux de
s'en débarrasser. Elle l'épousa à la fin de 1802
(8 nivôse, an XI). Il ne semble donc pas que ce fut là un mariage
d'amour ; mais, les affaires allant bien, le petit dieu eut, sans doute le
loisir de s'insinuer, car Champeaux vécut jusqu'en 1834,
et le ménage réinstallé dans la maison paternelle eut huit enfants.
Parmi les autres personnages
qui figurent dans le récit, certains succombèrent aux coups de la grande
tourmente ; ceux qui échap-pèrent eurent dans la monotonie d'une existence ordinaire
un sort analogue à celui de notre mémorialiste.
Nous avons vu la grand' mère,
Louise Moreau, massacrée au Pont-Joly, avec deux de ses sœurs, par les soldats
républicains, le 26 mars 1794.
Le père, Louis Barbier, et la
mère, Renée Auvinet, étaient morts avant les jours difficiles. La tante Brion,
du May, Marie Auvinet (1762-1822),
qui s'était mariée à quinze ans et qui, au dire de M. Joseph Chaillou, avait le
jour de ses noces abandonné la table du banquet pour aller jouer à la poupée,
veuve à trente-et-un ans, revint habiter Cholet avec cinq de ses enfants ;
trois étaient morts de misère et de faim. C'était une femme charitable et
dévouée ; elle exerçait modestement le métier de dévidcuse et habitait dans la grande-rue,
c'est-à-dire dans la rue Nationale. Elle mourut en 1822, demeurée attachée à la Petite Eglise.
Sa sœur, Mathurine Auvinet,
la tante Coudrais (1754-1820), revint
également à Cholet et habitait au Coin. « Femme héroïque », au dire de M. J.
Chaillou, « elle a souffert toutes les peines et les misères de la Vendée. »
Elle mourut en 1822, également
dissidente.
La belle-mère de nos
héroïnes, Marie Bréault, après avoir vu embrocher sa petite fille, avait réussi
à se cacher. Elle se remaria très rapidement à un nommé Bibard.
Une demi-tante, Louise
Martineau, fille de Louise Moreau, la grand' mère remariée, avait épousé Jean
Blain, qui se fit l'homme d'affaire et peut-être le profiteur des biens des orphelins.
Parmi ceux-ci, l'aînée, Renée
Barbier, née en 1768, était mariée à
François Cherbonnier. Le ménage abandonna Mortagne et s'installa à Nantes, où
Cherbonnier exerçait la profession d'armurier. Leur fils aîné, François, le
bambin de quatre ans, qui apparaît dans le récit au moment de l'émigration vers
Nantes, s'enrôla en 1808, devint
sous-lieutenant et mourut à Moscou en 1812.
Le plus jeune, René, continua
la descendance . François Cherbonnier, le père, mourut
à Nantes, en 1806, et Renée Barbier, en 1826.
Nous avons vu la seconde
fille, Marie Barbier, née en 1769, épousé
à son retour de Nantes, le sacristain Pierre Airaut.
Elle mourut sans enfant, en 1810. La troisième, Modeste, née en 1771, fut fusillée en 1794,
sur la place Saint-Pierre.
Louis Barbier, l'aîné des
fils, né en 1772, fut enrôlé dans les
armées de la République, où il fit onze ans de service.
En garnison à Rouen, son
attention fut attirée par le tic-tac d'un métier de tisserand. L'artisan était
originaire des Gardes et réfugié dans la capitale normande. Il s'appelait François
Dénécheau. Connaissance fut vite faite entre compatriotes. Le tisserand avait
une fille, Marie, âgée de 17 ou 18 ans. Louis Barbier l'épousa et revint
travailler à Nantes, chez son frère Eugène, installé fabricant de toiles coton,
rue Saint-Similien. Louis Barbier eut sept enfants et mourut; en 1862,
Pierre Barbier, né en 1773, enrôlé militaire, fut tué, nous le savons,
en Bohême.
Jeanne Barbier, née en 1775, s'était réfugiée, après la tourmente, chez
sa sœur et son beau-frère Airaut. Elle se maria avec un Pierre Brion, tailleur
à Coron, et mourut en 1815. Rosalie, née
en 1776, réfugiée également avec ses sœurs,
chez Pierre Airaut, mourut dès 1796.
Victoire Barbier, née en 1777, accompagna, ainsi que nous l'avons vu, sa
tante Brion dans la tournée d'outre-Loire.
Elle la perdit entre Le Mans
et Saumur et se réfugia dans cette dernière ville, où elle se maria avec un
nommé Béliard, qui mourut l'année suivante. Son frère vint à passer à Saumur ;
elle le suivit et se retira à Nantes chez sa sœur Cherbonnier. Au bout de
quelques années, elle se maria à un certain M. Bru, qui de même que l'aîné des
fils Barbier, Louis, trouva du travail, chez le plus jeune Eugène. Elle mourut
en 1848.
Eugène Barbier, né en 1784, s'installa donc à Nantes, fabricant de
toiles coton. Ses affaires prospérèrent. Il se maria deux fois et mourut en 1867.
D'Alexis, né en 1782, et de Joseph, né en 1786, nous ne connais-sons rien.
Quant à Cécile, née en 1780, que nous avons laissée, dans le récit, à
l'entrée de Nantes, recherchant sa sœur Cherbonnier, elle fut arrêtée parce
qu'elle venait de Cholet et fut sur le point d'aller en prison. Réclamée par un
négociant de notre ville, M. Leroy, dont la famille l'emmena à Versailles, où
elle s'instal-lait, Cécile Barbier fut leur servante pendant quelques années,
puis se plaça comme cuisinière à l'Hôtel du Grand Cerf et épousa, en 1810, un M.Vassard, qui, bientôt, s'établit
grainetier. Vassard mourut en 1815,
laissant trois enfants. Cécile Barbier se remaria en 1819, avec un certain M. Loudier, qui mourut en 1845.
Elle resta à Versailles
jusqu'en 1870 et se réfugia à Paris, chez
ses enfants.
Madame Loudier vécut jusqu'à
l'âge de 101 ans et mourut le 10 janvier 1882.
Elle n'avait, paraît-il, aucune des infirmités de son âge, et conserva presque
jusqu'à la fin, l'usage de ses facul-tés. Chaque fois qu'elle revoyait sa
famille, elle s'infor-mait avec grand intérêt de ses amis de jeunesse et de ses
compa-gnons d'infortune, s'étonnant beaucoup lorsqu'on lui disait qu'ils avaient
disparu depuis longtemps. Sa sœur Louise, l'auteur de notre récit, mourut le 30 novembre 1871, à l'age respectabie de 89 ans.
Lorsqu'on lui annonça ce décès.
Cécile répondit : « Ce n'est
pas étonnant ! Cette pauvre Louise ! ... Elle était si peu forte. »
Charles ARNAULT
Conservateur du Musée de
Cholet
(1)
Charles-Louis-Jean-Vincent de Beauvau, marquis, naquit en 1744. Avant la
Révolution, il se rendit tristement célèbre par les scandales d'une jeunesse
orageuse dont les multiples épisodes ont fourni à M. de Miramon-Fargues la
matière d'un récit historique plus captivant qu'un roman : L'Héritage des
Beauvau-Tigny. (Paris, Plon-Nourrit, 1907).
Enfermé, comme bigame, au
Mont-Saint-Michel, Vincent de Beauvau parvint à s'évader, fut repris, interné à
Vincennes, puis à la Bastille, où il demeura six ans : puis, il fut relégué
dans ses terres de la Treille, près Cholet, où l'interdiction dont il était frappé
ne fut levée qu'à la veille de la Révolution.
Rien d'étonnant à ce qu'il se montrât
partisan enthousiaste du nouvel ordre des choses. Il prit la tête du mouvement
révolutionnaire dans notre pays, et fut nommé procureur-syndic du District de
Cholet, en 1790.
Un de ses descendants, M. A. de Launet, a
publié, en 1935, dans le Bulletin de la Société des Sciences, Lettres et
Beaux-Arts de Cholet, une attrayante élude sur le Marquis révolutionnaire, tendant
à expliquer sa conduite par les déboires de sa vie privée.
Les Mémoires de Louise Barbier portent la
trace des légendes effrayantes qui avaient cours, sur son compte, dans les
conversations populaires.
(2) Marin-Jacques Boutillïer de
Saint-André, naquit à Mortagne, le 1" septembre 1746, sénéchal de la baronnie
de Mortagne, le 18 mars 1772. Il avait épousé, le 17 juillet 1780, sa cousine
germaine, Marie-Renée Boutillier de la Chèze, dont il eut quatre enfants, deux
fils et deux filles.
Il fut élu maire de Mortagne en 1790 et,
bientôt après, président du tribunal du district de Cholet.
Il avait salué, avec enthousiasme, le
mouvement de réformes de 1789, mais ses idées étaient sages et libérales. La
violence l'ayant emporte sur la modération, il devint « suspect ». Mis en
évidence par un acte de générosité courageuse, la défense de la garnison
républicaine de Mortagne injustement accusée, et
arrêté, il subit un simulacre
de jugement et fut condamné à mort.
Il fut guillotiné sur la place du
Bouffay, à Nantes, le 11 avril 1794.
Son fils, Marin-Jacques-Narcisse
Boutillier de Saint-André, né à Mortagne, le 23 avril 1781, est l'auteur du
récit que nous avons rapporté plus haut.
(3) Jean-Julien-Michel Savary, né à Vitré
(Ille-et-Vilaine), le 13 novembre 1753, était fils d'un marchand-fabricant,
mort vingt ans avant la Révolution. Reçu avocat au Parlement de Paris en Juillet
1870,11 avait exercé cette profession à Rennes et à Nantes.
M. Baguenier-Désormeaux dit qu'il vint,
avant la Révolution, comme précepteur dans un château des environs des
Herbiers, où il connut d'Elbée et fut mêlé à divers
affaires d'intérêt du futur généralissime Vendéen.
Il se trouvait à Cholet, en 1790, et fut
nommé Juge au Tribunal du District tandis que M. Boutillier de Saint-André eh était
élu président. Il prendra cette présidence à la fin de 1792.
Il faisait en même temps partie de la
Garde Nationale et avait ouvert un cours public de Mathématiques, pour
l'instruction des jeunes gens qui se destinaient à la Marine et à l'Artillerie.
La Société Populaire des Amis de la Constitution, puis des Amis de la Liberté
et de l'Egalité, en correspondance avec le Club des Jacobins, avait été fondée
par lui.
Prisonnier des Vendéens insurgés le 14
mars 1793, il parvint à s'évader un mois après et à rejoindre, à Vezins, la
colonne de Leygonnier. Il se réfugia à Saumur. Le Conseil général du
département, dont il était membre, le nomma commissaire civil près de l'armée
opérant contre l'insurrection. Canclaux, Kléber, Vimeux et Beaupuy utilisèrent
ses connaissances de la topographie
et de la mentalité du
pays, son amour du travail, et sa grande probité de conscience et en firent un
excellent chef d'Etat-Major.
Il fut nommé adjudant général chef de
brigade, le 6 novembre 1793.
Député de Maine-et-Loire au Conseil des
Cinq-Cents, le 15 octobre 1795, au Conseil des Anciens, le 14 avril 1799, il
demeura représentant de Maine-et-Loire jusqu'au coup d'Etat des 18-19 brumaire,
an VIII, qu'il n'approuva pas. Nommé sous-inspecteur aux Revues le l*r nivôse,
an VIII (le 21 décembre 1799), grâce
à l'appui des généraux
Grouchy, Bernadotte et Moreau et aussi du Ministre de la Police, Joseph Fouché,
il entra dans la Légion d'honneur le 17 janvier 1805, et passa inspecteur le 30
avril 1812.
il fut décoré du Lis le
1er juillet 1814 et fait Chevalier de Saint-Louis le 27 septembre suivant. Il
prit sa retraite en 1815.
Son grand ouvrage est intitulé : Guerre
des Vendéens et des Chouans contre la République Française, par un officier
supérieur habitant la Vendée avant les troubles. (Paris, Beaudouin 1824-1825, 6
vol. in-8°).
Ce recueil de documents d'origine
républicaine, est l'une des sources les plus précieuses d'informations que nous
ayions sur l'histoire de l'insurrection vendéenne. On doit cependant regretter,
avec M. Baguenier-Désormeaux, •« la façon trop arbitraire, quoique de bonne
foi, dont il a souvent tronqué, ou interpolé le texte des documents produits
par lui.
Savary mourut en 1839. David d'Angers,
son ami, a fait de lui un médaillon.
(4) D'une famille originaire du May,
Guy-Jacques Chouteau, naquit à Cholet en 1736, au dire de Célestin Port. Son
père était greffier au Grenier à Sel de Cholet et sa mère Anne Le Breton,
appartenait à une riche famille de négociants choletais. Guy-Jacques fut reçu
docteur-médecin en l'Université d'Angers vers 1766 ou 1767. Il se fixa à
Cholet, ou il y épousa Marie-Anne Mes-
nard, fille d'un
négociant. Il y acquit bientôt, par sa charité et son dévouement aux pauvres,
pue véritable vénération.
Partisan de la Révolution à ses débuts,
il fut élu, en 1790, administrateur du District de Cholet, puis, en 1791, député à l'Assemblée Législative. Après le 10 août 1792, il
revint à Cholet et reprit sa profession de médecin.
Pendant la guerre de Vendée, il ne
s'occupa que du Service Médical,; à l'hôpital
militaire de Noirmouliers, en l'an II ; dans les ambulances de l'armée de
l'Ouest, en l'an III. Il prit la direction de l'hôpital de Cholet le 27
germinal, an III, puis de nouveau fut envoyé à Noirmouliers le 23 frimaire, an
IV et nommé médecin à l'armée de l'Océan, le 10 germinal, an IV.
Il rentra ensuite à Cholet et y continua
l'exercice de la médecine. Le 7 ventôse, an X, il fut nommé un des
administrateurs de l'Hôpital civil de Cholet. Des concitoyens ont gardé de son nom
une mémoire reconnaissante.
Il serait mort aux environs de Doué, à une date inconnue.
Il
ne quitta pas le pays et desservit les trois paroisses de Saint-Pierre, de
Notre-Dame et de Saint-Melaine. A la prise de Cholet par les Vendéens, le 14
mars 1793, il rentra en possession de son église. Après le passage de la Loire
(18 octobre 1793), il resta dans le pays et activement secondé par le vicaire
de Notre-Dame, l'abbé Huet, continua d'exercer secrètement son ministère. A la
pacification, en mai 1795, il essaya de reprendre l'exercice du culte et eut à
ce propos un curieux échange de lettres avec l'adjudant-général Savary.
Son
église Saint-Pierre avait été totalement brûlée ; il la reconstruisit et en
reprit possession vers 1800. Il a laissé au registre de l'Etat-Civil des listes
de victimes de la Révolution, très précieuses pour l'histoire de Cholet.
Il
mourut le 22 août 1806 et fut enterré dans la chapelle du cimetière de
Saint-Pierre.
(2) On trouve, à cet
endroit du récit de Louise Barbier, trace des légendes qui firent du marquis de
Beauveau une sorte de nouveau « Barbe-bleue », jusque dans son châtiment final.
Nous ne trouvons aucune preuve, aucun témoignage sérieux des traitements cruels
qu'aurait subis le procureur-syndic à ses derniers
moments. Seuls les racontars
de M. Thenaisie en font mention.
.M. de Beauveau succomba au pied du
calvaire, vers le milieu de la nuit, après de vives souffrances. La femme
Bonneau, qui demeurait à quelques pas de là, dans une des petites maisons basses,
à l'entrée du cimetière, a rapporté à M. l'abbé Deniau la fin du
révolutionnaire choletais. Effrayée par ses cris et par les
coups de feu qui ne
cessèrent de retentir durant presque toute la nuit, elle n'osa sortir de sa
demeure pour lui porter secours.
Le lendemain, Jacques Bouchet, père d'un
soldat vendéen, enterra le marquis dans le cimetière près duquel il était mort.
(extrait
d’un bulletin du SLA de 1937 ; un grand merci à eux ! )