Massacre de la Gaubretière

Voici quelques extraits du livre de Paul Legrand, « Notes historiques sur la paroisse de la Gaubretière », 1907.

La paroisse qui aura à subir 1200 morts (dont environ la moitié par les colonnes infernales) sur ses 1700 habitants, vient de subir un premier massacre le 4 février 1794 et le siège du clocher de l’église où 80 vendéens périront fusillés après s’être rendu. Il est d’ailleurs surprenant de voir autant de similitude avec la paroisse de Chanzeaux en Anjou qui, quant à elle verra la moitié de ses habitants disparaître dans l’horreur. Les deux paroisses  furent d’ailleurs au XIX° siècle mises dans une sorte de compétition pour l’honneur afin de savoir laquelle allait être la plus méritante pour recevoir le leg d’un bienfaiteur. Jugement stupide, comme si on pouvait déterminer la supériorité d’un village au nombre de ses morts. Le 27 février 1794, survient un second massacre, qui marquera les annales de l’épouvante et nous laissons ici la plume de Paul Legrand s’exprimer.

 

 

La Gaubretière commençait à peine à se relever des ruines de l'incendie, et les habitants étaient à peine remis des terreurs de ce premier massacre, lorsqu'un autre plus épouvantable vint ensanglanter la malheureuse paroisse.

Quatre semaines, en effet, après le massacre du 4, le 27 février, des colonnes nombreuses venues de Cholet, de Mortagne, de Montaigu et même de Nantes, s'avancent vers la Gaubretière et l'enserrent de toutes parts comme un cercle de feu.

"Ils étaient bien dix mille, écrit Rangeard, n'ayant pour mot d'ordre que la mort et l'incendie. Ils n'exécutèrent que trop leur implacable consigne. Le fer n'épargna rien de ce qu'il put atteindre et le feu consuma tout" (1).

Dès l'arrivée des Bleus, les habitants, selon leur coutume, s'étaient enfuis dans les bois ; mais cette fois les Républicains étaient en nombre et, sans craindre une attaque des brigands, ils parcoururent en tous sens le réseau inextricable de fourrés et de genêts qui entouraient la paroisse, massacrant et brûlant avec une épouvantable férocité.

Dans les bois du Drillais, plus de 300 femmes, poursuivies et traquées comme des bêtes fauves, furent éventrées.

A la Fauconnière, dans les grands bois qui entouraient l'étang, tout un groupe de femmes, de vieillards et d'enfants furent égorgés, surpris alors qu'ils priaient dans la forêt.

Les gorges sauvages qui courent parallèlement à la vallée de la Crume, et où les habitants s'étaient réfugiés en grand nombre, devinrent le théâtre d'épouvantables boucheries ; dans l'une d'elles, les victimes furent si nombreuses, les cris que leur arrachait la douleur si épouvantables, que ce site lugubre a toujours conservé depuis le nom sinistre de "Vallée des Royards" (royer, mot patois, signifie hurler de douleur) (2).

Dans un autre champ qui porte encore le nom de "champ des oreilles", les bandits massacrèrent une cinquantaine de Gaubretiérois et, par un raffinement de cruauté, leur arrachèrent les oreilles dont ils se firent de hideux trophées. Ce n'est pas là d'ailleurs le seul exemple de cette monstrueuse mutilation et l'on peut voir, dans nombre d'historiens bleus et blancs, de pareils récits de bestiale cruauté.

Dans cette véritable chasse à l'homme, comme d'ailleurs dans toutes leurs expéditions autour de Mortagne, les Républicains étaient aidés de grands chiens qu'ils avaient dressés à découvrir les Vendéens cachés dans les fourrés impénétrables et qui parfois les déchiraient avant que le fer de leurs maîtres les aient atteints. Cette nouvelle cruauté servit d'ailleurs plusieurs fois à sauver la vie aux malheureux fugitifs, car le bruit des grelots que ces chiens portaient à leur collier était un indice certain de l'approche d'une colonne républicaine. (3)

Plus de cinq cents personnes périrent dans cet épouvantable massacre, qui, dans le souvenir des Gaubretiérois, demeure toujours vivant sous le nom de "grand massacre". Nous emprunterons au récit des témoins oculaires de cette boucherie les noms de quelques-unes des victimes :

"Mme Le Bault de la Touche, chez laquelle l'état-major vendéen tenait ses réunions. C'était un ange de piété : on lui trancha la tête que l'on jeta dans un bassin plein d'eau. Son corps fut lancé au milieu des flammes avec ceux de quatre domestiques qui ne voulurent pas l'abandonner et partagèrent son sort". Mme de Sapinaud raconte, dans ses mémoires, qu'à l'arrivée des Bleus Mme de la Touche "se hâta de descendre dans la cour avec une bouteille de vin, croyant les attendrir par sa politesse" (4).

"M. Morinière, sa femme, deux domestiques et une de mes tantes (c'est Pierre Rangeard qui parle) furent traités avec la dernière barbarie. Sur leur refus constant de crier "Vive la République !", ils eurent la langue arrachée, les yeux crevés et les oreilles coupées avant de recevoir le coup de la mort.

"M. de la Boucherie, sa femme et Mlle de la Blouère, sa soeur, furent suspendus par le menton à des crampons de fer, au milieu de leur cuisine, et consumés dans cet état par l'incendie qui réduisit leur maison en cendres.

"Quatre MM. de Rangot avaient quitté l'armée au passage de la Loire, ils furent massacrés dans un champ de la ferme appelée le Gros Bois.

"M. le chevalier de Boisy, frère du comte fusillé à Noirmoutier, succomba sous les coups des assassins auprès du village de la Ripaudière.

 

"Deux hommes pris dans le jardin de M. Forestier périrent par le sauvage supplice du pal, au lieu même de leur arrestation (5).

"Au château du Sourdis, les Bleus s'emparent d'un domestique de M. de Sapinaud et veulent le forcer à leur découvrir le lieu où son maître a caché son argenterie ; il refuse et meurt en gardant son secret" (6).

A Remberge, les Républicains s'emparent de la femme Moreau et, la plaçant le long du mur du château, lui crient : "Mets-toi à genoux, brigande, pour être fusillée !" - "Je ne me mets à genoux que devant Dieu, répond l'héroïque marraine ; devant vous je reste debout, vous pouvez bien me fusiller comme cela !"

Stupéfaits de son courage, les Bleus la relâchent.

 

Quelques jours après, elle est reprise avec plusieurs autres femmes par une colonne de Lachenay, lieutenant de Grignon. Elles sont liées ensemble et placées sous un amoncellement de fourmille et de genêts auquel le bourreau mettait déjà le feu quand un parti de Vendéens les délivrent. "A quoi pensiez-vous là-dessous ?" lui demandait-on plus tard. - "Eh ! répondit-elle, je priais Dieu de tout mon coeur !" (7)

Parmi les trop rares noms qui ont été conservés des victimes du grand massacre, nous signalerons les suivants : femme Bossard et ses quatre enfants ; fille Michaud ; femme Paquet et ses deux enfants ; Marie Paquet ; Mme You, mère du curé, massacrée aux Trois-Claies, près de la Pagerie ; Charles Pasquier, sa femme et six enfants ; Merlet, du Lagast ; Levain, tailleur ; Charles Boudaud ; Marie Menanteau ; Jean Bossard ; Godet père, menuisier ; Lor, tuillier, à la Petite-Renaudière ; Esprit Micheau, brûlé vif en son lit, où le clouaient ses blessures ; Pierre Loiseau ; Lucas, de la Goullière ; Brochu, de la Jambière ; Gabriel You ; Retailleau, de la Châtaigneraie ; Jean Landreau ; Léauté, etc.

Quelques rares habitants échappèrent à ce massacre et, cachés aux environs de la Gaubretière, assistèrent impuissants à ces horribles scènes. De ce nombre était Pierre Rangeard, et voici comment il décrit ses impressions :

"J'avais eu le bonheur de m'enfuir avec ma vieille mère dans la commune de Beaurepaire qui n'éprouva rien de semblable. On n'en voulait qu'à la Gaubretière pour le moment.

Du lieu de notre retraite, qui n'était pas très éloigné, nous entendions les cris des mourants mêlés aux affreuses clameurs des soldats. D'épais tourbillons de flammes obscurcissaient le ciel sur une vaste étendue" (8).

Aujourd'hui encore, la tradition rapporte que le soir de ce grand massacre le ciel, par un prodige, devint tout rouge, comme s'il avait voulu refléter tout le sang qui coulait en ce coin perdu du Bocage.

Dès le lendemain du massacre, le 28, le général Huché, qui commandait la colonne incendiaire, rendait compte de son expédition à Turreau, son général en chef :

"Je te rends compte, mon cher général, de la sortie que j'ai faite, hier, contre les Brigands que j'ai trouvé à La Gaubretière.

"Je les ai égayés de la bonne manière, ils étaient en trop petit nombre pour en faire un grand carnage. Plus de cinq cents, tant hommes que femmes, ont été tués ...

" ... J'ai fait fureter les genêts, les fossés et les bois, et c'est là qu'on les trouvait blottis. Tout a été passé par le fer, car j'avais défendu que les trouvant ainsi on consumât ses munitions" (9).

Au reçu de cette lettre, le général Turreau, de son quartier général de Nantes, répondit à Huché :

 

Courage, mon camarade, et bientôt les environs de Chollet seront nettoyés de rebelles. Si chaque officier général ou supérieur ne les tuait comme toi que par centaines, on en aurai bientôt trouvé la fin. Je transmets sur-le-champ au ministre de la Guerre la nouvelle du succès dû à ton extrême activité" (10).

 

Turreau écrivait en même temps au ministre :

 

"Le général Huché, qui commande à Chollet une forte garnison, avait reçu l'ordre de moi de disperser tous les rassemblements qui pourraient se former aux environs.

"Instruit qu'il y avait sept ou huit cents brigands à La Gaubretière, qui inquiétaient Mortagne, Huché part de Chollet avec un fort détachement et par une marche nocturne surprend les ennemis.

"Cinq cents ont été taillés en pièces, parmi lesquels un grand nombre de femmes, car les femmes s'en mêlent plus que jamais. Cette affaire a eu lieu le 27 février, et ce rassemblement est entièrement dissipé" (11).

 

En réponse à la lettre de Turreau, le général Huché répondit :

 

"Tu as eu tort de parler de moi au ministre, l'affaire de La Gaubretière n'en valait pas la peine" (12).

 

Cette hideuse correspondance officielle se passe de commentaires. Elle répond pleinement aux reproches d'exagération que l'on pourrait formuler contre l'historien obligé de rappeler le souvenir de si abominables cruautés. (13)

Après le départ des Républicains, La Gaubretière pour ainsi dire n'existait plus, et Pierre Rangeard décrit ainsi l'aspect de la malheureuse paroisse :

"Le lendemain au soir, un profond silence avait succédé aux bruits tumultueux. Nous nous hasardâmes, le nommé Fumoleau et moi, à visiter notre bourg.

 

"Ce n'était plus qu'un monceau de cendres d'où s'échappait encore une chaleur brûlante dont l'air était tout embrasé !

"Tout ce qu'il y avait de combustible à l'église était devenu la proie des flammes : la toiture, une chaire magnifique, des boiseries remarquables, les bancs, les autels. Mais le monument, protégé par ses belles voûtes de pierres, était resté seul debout au milieu de cette ruine universelle, comme un signe d'espérance et un témoignage frappant de l'indestructible existence de l'église de Dieu. Qui pourrait dépeindre tout ce que j'éprouvai à ce spectacle !

 

"Mais ce qui me navrait le coeur c'était la vue de ces cadavres dont la terre était couverte. Les uns commençaient à se décomposer, les autres étaient dévorés par les chiens ; les corbeaux s'abattaient par nuées, cherchant une pâture dans ces tristes restes que nous étions impuissants à défendre contre ces révoltants outrages.

"Cependant, plusieurs personnes étant venues nous rejoindre, nous pûmes rendre les derniers devoirs aux cadavres que nous rencontrions sur les chemins voisins et dans les rues.

 

"Mais combien d'autres, dont les ossements blanchis ont jonché pendant plusieurs années ces champs de désolation !" (14).

Marie Lourdais nous trace un tableau presque aussi désolé, et passant à La Gaubretière le 20 mai 1794, c'est-à-dire trois mois après le massacre, elle nous décrit ainsi l'aspect du bourg :

 

"Je revins à La Gaubretière, tout était brûlé ... La désolation était toujours grande. Cette malheureuse Gaubretière semblait un désert ; des milliers de corbeaux s'abattaient sur les endroits où des quantités de corps à peine couverts de terre étaient enterrés ; il ne faisait pas bon s'y promener, l'air était empoisonné !

 

"... Aucune maison de La Gaubretière n'était restée debout depuis le Sourdis, habitation du général de Sapinaud, jusqu'à la plus chétive cabane. L'état-major avait été obligé d'aller s'établir au château de Beaurepaire, à une demie-lieue de là ...

"Il (le général de Sapinaud) aimait à quitter son camp de Beaurepaire pour revoir La Gaubretière et son château du Sourdis ; il ne rencontrait partout que des monceaux de cendres.

"Un jour, je le trouvais assis, regardant les débris de son château ; il me dit alors : "Tiens, ma pauvre bretonne, tu vois bien tout cela, il ne me reste plus rien, mais si notre roi était sur son trône, tous mes malheurs seraient oubliés, je serais le plus heureux des hommes" (15).

 

Enfin François Faivre écrit en ses mémoires : "Rentré à La Gaubretière, je ne pouvais en croire mes yeux. Sans l'église, malgré qu'elle fut sans couverture, j'aurais eu de la peine à reconnaître l'endroit qui m'avait donné le jour" (16). ...

 

(1) Mémoires de Pierre Rangeard.

(2) Tradition locale.

(3) Mémoires de Mme de Sapinaud.

(4) Mémoires de Mme de Sapinaud.

(5) Mémoires de Pierre Rangeard.

(6) Abbé Deniau - Histoire de la Vendée t. IV p. 233.

(7) Mémoires de la femme Moreau.

(8) Mémoires de Pierre Rangeard.

(9) Savary : Guerre des Vendéens et des Chouans, t. III p. 236

(10) Savary : Guerre des Vendéens et des Chouans, t. III p. 262

(11) Ibid.

(12) Ibid. p 266.

(13) Voir pour les massacres de La Gaubretière : H. Bourgeois : Histoires de la Grande Guerre, p. 150 ; Boutillier de Saint-André : Mémoires d'un père à ses enfants, p. 394 ; Abbé Deniau : Histoire de la Vendée, t IV, p. 282 ; Savary : Guerre des Vendéens et des Chouans, t. III, p. 259 ; Archives du diocèse de Luçon, t. III, p. 284 ; Mémoires de Pierre Rangeard, etc.

(14) Mémoires de Pierre Rangeard.

(15) Mémoires de Marie Lourdais.

(16) Mémoires de François Faivre, de La Gaubretière.

Nous avons publié les mémoires de Marie Lourdais ici